Y a-t-il une semaine qui passe sans que Marseille ne fasse la une des journaux ?
Ces derniers jours, en moins de 48 heures, une femme de 55 ans a été assassinée dans un parking, un père de famille, médecin militaire, a été sauvagement agressé devant les yeux de ses enfants et un homme armé d’un couteau a été abattu par la police dans un centre commercial.
Marseille, laboratoire de l’ultra-délinquance ? Dans certains quartiers, les faits parlent d'eux-mêmes.
La Bricarde, la Paternelle, Kalliste, Bassens, Consolat, les Oliviers… Ces noms de lieux enchanteurs ne disent rien aux non-Marseillais. Dans ces quartiers, les plus chauds de la cité phocéenne, prospèrent tous les compartiments de l'économie parallèle, trafic de drogue et marché noir entre autres. La violence y est fréquente, les tirs de kalachnikov comme les cris des guetteurs y retentissent aussi régulièrement que, jadis, les cloches de nos églises. Les quartiers nord de Marseille incarnent à la perfection l’expression de « territoires perdus de la République » et constituent, depuis des décennies, l’épine dans le pied des politiques locaux de droite comme de gauche. Incapables de reprendre le contrôle de ces zones, ils promettent ici et là des mesures... jamais appliquées. Emmanuel Macron n’a pas échappé à la règle. Le Président promettait, à l’automne 2021, un plan d’urgence « sécuritaire, sanitaire et social » et jurait de « harceler les trafics de drogue » afin de rétablir l’ordre à Marseille. Qu’en a-t-il été ?
Pour le savoir, Boulevard Voltaire s’est rendu au cœur des quartiers nord de Marseille.
Entre policiers au bord du burn out,
banalisation de l’ultra-violence, domination des trafiquants et profonde
misère sociale, nous nous sommes infiltrés en zone de non-France. Nous
avons vu l'état de la plus vieille ville française.
« Chez nous, dans les quartiers nord de Marseille, c’est le réseau qui décide de tout », confie Khadija, tout sourire, une habitante de la cité Bassens. Bassens, c’est cette même cité du 14e arrondissement de Marseille qui avait été nettoyée de fond en comble pour la visite d’Emmanuel Macron, en septembre. Enchevêtrement de tours blanches et orangées abritant un peu moins de 6.000 habitants, Bassens est l’une des zones les plus criminogènes de la cité phocéenne. Abandonnée des services publics (sauf en période électorale, évidemment), minée par le trafic de drogue et la délinquance juvénile, la cité Bassens est pourtant située à quelques centaines de mètres du plus important commissariat de police du nord de Marseille, celui qui accueille la fameuse « BAC Nord ».
Un policier souhaitant rester anonyme témoigne : « À Bassens comme dans n’importe quelle autre cité chaude des quartiers nord, tout est sale et noirci. Ici, c’est le mal qui règne en maître. Vols, violences, trafic et coups de feu sont devenus quotidiens… »Interrogé sur la capacité des forces de l’ordre à faire respecter la loi dans cet univers, notre policier répond : « Évidemment qu’on y va, tous les jours, même. Mais sans grand effet. Quand on intervient et qu’on “pète un charbon” (littéralement : interpeller les trafiquants), il rouvre dans la demi-heure qui suit notre départ… », se désole-t-il. Les moyens mis en œuvre pour faire respecter la loi doivent être à la hauteur des défis, colossaux. « Le seul moyen de faire couler un réseau, c’est de laisser une colonne entière de CRS en bas des tours, mais ça coûte un fric monstre et c’est rarement mis en place… », poursuit ce policier.
Marseille Nord repose largement sur l’économie du trafic de drogue. Engrangeant des milliards d’euros chaque année, le « réseau », comme l’appellent les Marseillais, représente une manne financière inépuisable et toute-puissante. Chaque cité possède en son sein un ou plusieurs « charbons » (comprendre « points de deal »), plus ou moins rentables. Régulièrement, certaines cités se font une forme de guerre, contribuant à un climat de violences qui fait trembler de peur les populations locales. En juin 2021, les dealers de Bassens ont attaqué ceux de La Paternelle, une cité rivale et provoqué la mort de dix jeunes délinquants. Les trafiquants ont imposé leurs propres règles, leur ordre. Ainsi, l’affaiblissement économique d’une cité présage bien souvent un accroissement de la criminalité, les dealers n’étant plus assez puissants pour faire régner l’ordre. C’est ce qui s’est passé, le 6 mai dernier, à Kalliste, une cité très chaude au nord-ouest de Marseille. La raréfaction des clients de la drogue a poussé des gangs de Nigérians à semer la terreur dans le quartier, provoquant la fuite d’une soixantaine d’habitants. Les policiers ont leur propre vocabulaire. « Les Nigérians ont “cassé le cul” des dealers de Kalliste », lance l'un d'entre eux. L’exercice de ce contrôle territorial mis en place par les trafiquants de drogue trouve sa parfaite illustration dans l’instauration de « checkpoints » un peu partout dans le nord de Marseille.
Poubelles alignées sur la route, Caddie™ de supermarchés renversés au milieu d’une rue ou encore barrières de chantiers placées sur les trois axes d’un rond-point, ces sortes de postes douaniers improvisés sont de plus en plus répandus.
Un officier de la police judiciaire marseillaise, qui souhaite lui aussi préserver son anonymat, tranche : « Il y aura toujours des checkpoints à Marseille, tant que les dealers auront un sentiment d’impunité. » Selon lui, le checkpoint a deux fonctions : « La première est d’exercer une domination visible sur le quartier en montrant le pouvoir du réseau ; la seconde consiste à ralentir les interventions policières en barrant la route aux forces de l’ordre. Cela nous contraint à descendre du véhicule pour enlever les obstacles et reprendre l’opération. Pendant ce temps-là, évidemment, on reçoit de la caillasse de partout ! »
Un habitant de la Bricarde, un quartier particulièrement concerné par les checkpoints, nous affirme « être habitué aux checkpoints depuis des années. Ca fait partie du quotidien, on n'y fait même plus attention… ». Contactées par BV par voie téléphonique, les mairies des 14e et 15e arrondissements de Marseille n’ont pas répondu.
La situation ne semble pas préoccuper excessivement les autorités. Entre règlements de comptes, insalubrité grandissante et hausse exponentielle de l’insécurité, l’avenir de la cité phocéenne s’assombrit. Les narco-quartiers du nord de la ville, eux, continuent de voir s’enrichir une caste de dealers que la justice peine à appréhender. La police, débordée et à bout de souffle, continue de faire son travail non sans peine et soupire à chaque criminel relâché dans la nature par des magistrats accusés de laxisme. Le désespoir guette les Marseillais qui, en trente ans, ont vu leur ville changer de visage pour devenir le paradis des trafiquants. Toujours plus pauvre, avec un taux de pauvreté de 26% en 2019, toujours plus dangereuse, avec un taux de délinquance ayant crû de 10% en 2021, la ville semble embarquée dans une mauvaise spirale. Et les effets d'annonces fracassants d'Emmanuel Macron à l’automne 2021 ne se sont évidemment jamais concrétisés…
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