Mai 1962. Adolescent, parisien, j’étais lycéen à Buffon… La guerre d’Algérie, je ne la connaissais que parce que j’avais des copains dont les grands frères étaient « partis ». Certains n’en revenaient pas.
Je me souviens du putsch des généraux du 21 avril 1961, de l’appel aux Parisiens du Premier Ministre Michel Debré pour empêcher « par tous les moyens » le débarquement des parachutistes séditieux. J’ai « séché » les cours ce jour-là, fasciné, place d’Alésia, par la colonne de chars qui allaient prendre position Porte d’Orléans. Le macadam tremblait. C’était la première fois que je voyais des blindés ailleurs qu’aux Champs Elysées quand mon grand père m’emmenait au défilé du 14 juillet. J’avais compris que, cette fois, ce n’était pas de la rigolade. Les adultes, fascinés eux aussi, semblaient se souvenir des années noires, qui n’étaient finalement pas si loin. Sauf que les chars de la 2ème DB avaient roulé en août 1944 en sens inverse, entrant dans Paris par l’avenue d’Orléans, qui allait devenir celle du général Leclerc, sous les acclamations d’une foule qui voyait enfin arriver la fin de 4 années d’occupation…
Ce mois d’avril avait pourtant commencé dans le rêve et la science-fiction. Le 12 avril 1961, 9 jours plus tôt, le soviétique Youri Gagarine, coiffait au poteau les américains dans la course à l’espace et devenait le premier homme dans l’espace en effectuant un premier vol orbital dans son Vostok…
Pour nous, jeunes « boomers » comme on allait nous qualifier quelques décennies plus tard, l’Algérie était bien lointaine, et on ne l’avait côtoyée qu’en croisant parfois dans Paris des patrouilles de harkis en file indienne. On entendait parler de l’OAS, et du FLN bien sûr. Et puis du référendum sur l’Algérie, et puis de l’indépendance, qui semblait ici soulager tout le monde… L’Algérie était loin…
Cette peut-être longue introduction, pour dire aux nombreux amis « Pieds-Noirs » que j’ai eu la chance de rencontrer depuis que nous avons créé ce blog avec l’Imprécateur il y a un peu plus de 10 ans, que ce n’est qu’au soir de ma vie que j’ai enfin réellement compris leur ressentiment et leur légitime colère envers le général de Gaulle, qui fut pourtant pour moi longtemps un modèle.
Je lui reste fidèle pour son oeuvre envers la Patrie, tant en 1940 qu’en 1958 (et je serais furieux si l’imposteur Mélenchon parvenait à changer notre constitution). Mais ceux que je considère aujourd’hui comme des « amis » (ils se reconnaitront) m’ont permis d’ouvrir les yeux sur ce qui fut un terrible drame humain et sans doute une trahison morale.
J’en conclus qu’il n’est pas de héros sans tache, que personne n’est parfait, et que la face cachée d’un homme, même méconnue, doit toujours nous inciter à la prudence…
Je publie donc avec émotion ce magnifique article de José Castano, que je lis régulièrement et j’ai envie de lui dire, moi aussi, mais sans arrière pensée : « Je vous ai compris !«
Marc Le Stahler
20 mai 2022
MAI 1962… LA DERNIĖRE COMMUNION
« Des mots qui pleurent et des larmes qui parlent » (Abraham Cowley)
Qu’elle était radieuse l’aurore de ce dernier dimanche de Mai 1962 à Oran !… Le ciel était tout blanc, d’une blancheur de gaze, où scintillaient des gouttelettes nacrées, pluie d’atomes lumineux dont la chute emplissait l’éther d’une immense vibration qu’on aurait dite minuscule. Tel une plume blanche, un nuage solitaire se courbait au dessus de la ville, cette ville, hier si gaie, si propre, si belle qui, aujourd’hui, avait le visage gris des malades incurables, des cancéreux à quelques jours de leur mort.
Avec le mois de Mai étaient revenus les cortèges immaculés des premiers communiants, et dans cette époque de violence et de haine, il n’y avait rien de plus émouvant que ces enfants graves et recueillis, rayonnants de foi et vêtus de la blancheur des lys.
Parmi eux, se trouvait Frédérique Dubiton, amputée d’une jambe et qu’on portait dans le cortège des communiantes. Elle avait été l’une des premières victimes du « boucher d’Oran », le général Katz, commandant le secteur autonome d’Oran qui avait donné la consigne à ses troupes essentiellement constituées de « gens sûrs », en l’occurrence de gendarmes mobiles, « de tirer à vue sur tout Européen qui aurait l’audace de paraître sur une terrasse ou un balcon lors d’un bouclage ». (1)
Les premières victimes du « boucher d’Oran » furent deux adolescentes de 14 et 16 ans : Mlles Dominiguetti et Monique Echtiron qui étendaient du linge sur leur balcon. Elles furent tuées par les gendarmes. Les projectiles d’une mitrailleuse lourde de 12/7 traversèrent la façade et fauchèrent dans leur appartement, Mme Amoignan née Dubiton, dont le père était déjà tombé sous les balles d’un terroriste du FLN, ainsi que sa petite fille, Sophie, âgée de deux ans et demi et sa sœur, Frédérique, âgée de treize ans qui, atteinte à la jambe, eut le nerf sciatique arraché et dut être amputée.
Pourquoi lui refuser, malgré l’atrocité de la situation, le droit à la robe blanche et à la douceur de la cérémonie ? Elle n’aurait pas compris, elle, petite victime innocente, quelle nouvelle punition on lui imposait après tant de souffrances imméritées.
Alors, toute parée, superbe dans ces blancheurs d’étoffe qui l’entouraient comme d’un rayonnement de candeur, Frédérique, se sentait enveloppée d’amour, réchauffée par les sourires lumineux de ses voisins et amis qui lui témoignaient leur tendresse et l’astre radieux, semblait une pluie d’or qui ruisselait de ses mains fines.
Et cette vision insolite de ces enfants encadrés de C.R.S !… parce que leur quartier, étant bouclé par suite d’une perquisition générale, on n’avait pas le droit d’en sortir, sinon avec ces charmants messieurs. C’était grotesque et digne d’Ubu Roi ! Ces petites filles parées de blanc, se rendant vers l’aumônerie du lycée, ridiculisaient par leur innocence la faconde de ces matamores qui les accompagnaient d’un air soupçonneux. Pensez donc, si elles allaient emporter sous leurs voiles les tracts et les armes de l’OAS ! On massa les enfants, place de la Bastille, avec les mitrailleuses braquées sur eux. Et le chanoine, sur le devant de son église, bénit les communiants en disant :
« Aujourd’hui, pour venir ici vous avez dû franchir les armées ; vous avez franchi les armées de Satan ! Ne l’oubliez jamais ! Que cela vous reste comme le symbole, l’exemple de ce que vous devrez toujours être prêts à faire : franchir les armées du démon pour venir à la maison de Dieu. »
Après cette déclaration, le chanoine fut arrêté…
Comme on a raison de cacher aux enfants la vue des laideurs humaines. Le triomphe de la force, la victoire de l’injustice, sont des secousses trop violentes pour eux. Ils doivent croire longtemps que Dieu intervient en faveur des belles causes, que le Mal ne peut prévaloir contre l’amour et le sacrifice. Quand l’âme a pris ce pli de foi dans l’enfance, rien après ne l’efface plus. Ces petits êtres vêtus de blanc, ont été dépouillés trop jeunes de leur tunique d’illusions. Ils ont vu que leurs prières d’enfants purs ne touchaient pas le ciel, que la tendresse de leurs parents ne pouvait pas les protéger contre les abus de la force, qu’une balle bien dirigée ou qu’un couteau trop vif valait plus que cent cœurs vaillants… et de ce jour, ils sont restés tristes de cette certitude.
Ah ! Quand le sommeil de la mort nous jettera dans la terre, puissions-nous alors ne plus rêver, ne plus voir les tristes réalités de notre triste monde !…
José CASTANO
20/5/2022
« Si j’avais le pouvoir d’oublier, j’oublierais. Toute mémoire est chargée de chagrins et de troubles » (Ch. Dickens)
Cette photo représente la petite Frédérique DUBITON le jour de sa communion.
(Parue dans l’hebdomadaire « CARREFOUR » du 16 Mai 1962)
Pour preuve de la désinformation qui sévissait alors en Métropole et du lynchage médiatique que subissait perpétuellement l’OAS, certains journaux – toute honte bue- à l’instar de « La Marseillaise du Languedoc », journal communiste et de « L’Indépendant » de Perpignan, avaient publié cette photo accompagnée de la légende suivante : « Chaque jour des hommes, des femmes, des enfants sont tués ou blessés par les criminels de l’OAS en Algérie… Personne n’est à l’abri de leurs mauvais coups. Pitoyable témoignage. Cette petite communiante sortant d’une église d’Oran a dû être amputée d’une jambe à la suite d’un plasticage de l’OAS (sic) »
Ainsi, les coups les plus vils et les plus bas étaient régulièrement portés par ces « plumes vertueuses » pour en finir avec un élément indésirable qui troublait leur béatitude. Un machiavélisme féroce et inconscient présidait à l’élaboration du grand crime qui se préparait : Les informations quotidiennes étaient cyniquement dénaturées, des extraits tendancieux, des truquages perfides, des censures arbitraires en représentaient seuls les pages les plus réalistes. La vérité était altérée par des récits tendancieux à l’excès et par omission systématique de tout ce qui aurait convenu le mieux de mettre en lumière, tout cela afin de convaincre l’opinion publique que l’Algérie française était une chimère entretenue par une minorité d’exaltés.
Et pendant ce temps, le FLN, soutenue par cette « intelligentsia » progressiste, perpétrait impunément dans l’indifférence générale ses horribles forfaits…
(1) KATZ… CRIMINEL DE GUERRE
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