Sabine de Villeroché : Virginie Joron, vous évoquez un nouveau scandale McKinsey, de quoi s'agit-il ?
Virginie Joron : Le pantouflage entre public et privé, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est l’emprise des cabinets de conseil au cœur de l’État. On n’imagine pas Richelieu ou de gaulle confier des fonctions régaliennes à des cabinets américains ou à Powerpoint. Louis XIV avait Vauban pour construire ses forteresses, Napoléon ses jurisconsultes et le Conseil d’État pour rédiger le Code Napoléon.
Au-delà des factures, c’est une fracture démocratique et une vraie rupture qui a lieu. L’État liquide, en quelque sorte. Qui dirige la France, depuis cinq ans ?
Cela aboutit à ce rapport d’avril 2020 commandé par une agence de la Commission de Bruxelles chargée des PME sur lequel vous m’interrogez aujourd’hui. À part le titre ronflant, ce rapport est un enfilement de phrases creuses, probablement copiées sur le site de la Commission ou recyclées d’un autre rapport et qui aurait été sous-traité à 93 % d’après le contrat.
Quel impact pour les PME ? Est-ce qu’il est utile de raboter les APL de cinq euros pour financer ce type de rapport dont il ne reste rien ? Aurait-il été plus utile de confier à dix polytechniciens 100.000 euros chacun pour qu’ils lancent leur entreprise en intelligence artificielle ?
S.d.V : Le scandale McKinsey ne s’arrête donc pas aux frontières françaises ?
V.J : En Europe, les Britanniques ont été les premiers. En 1975, le gouvernement britannique cherchait une légitimité, un appui à sa décision déjà prise de laisser tomber l’industrie de la moto anglaise détruite par la concurrence du japonais Honda. Le BCG a fourni l’étude nécessaire. Des rapports de McKinsey ont vite suivi sur d’autres réformes de la BBC, la Poste et les chemins de fer britanniques. Après le premier choc pétrolier, les cabinets avaient aussi besoin de nouveaux clients.
Cette recherche d’une assurance, d’une réassurance, se retrouve aujourd’hui quand le gouvernement délègue à McKinsey la gestion de la crise Covid. Comme le disait le général de Gaulle : c’est l’esprit d’abandon.
V.J : Il est légitime de demander des évaluations d’impact à des experts avant de lancer un nouveau règlement. Mais si vous lisez les travaux publiés par la Commission, vous serez déçu du niveau général et de la faiblesse des hypothèses avancées dans ces études. En particulier pour ce qui concerne l’impact sur l’emploi en Europe.
Mais, lors de mon enquête, j’ai découvert des exemples invraisemblables : comment la Commission peut signer un contrat de 140 millions d’euros avec IBM pour gérer nos données Schengen (EU-Lisa) ; comment l’Agence européenne SRB, qui gère à Bruxelles les faillites des banques européennes, peut choisir la firme américaine BlackRock comme conseil, via un contrat cadre de 30 millions d’euros ? C’est quoi, le projet ?
On parle pourtant, ici, de fonctions stratégiques : notre sécurité et notre argent.
La méthode Monnet, c’est historiquement la méthode des négociations de coulisses et des chèques de fondations atlantiques obscures. Ce qui est clair, c’est qu’autrefois les influences passaient quand même d’abord par les corps intermédiaires : les syndicats, les organisations patronales et, bien entendu, les États membres.
Depuis une vingtaine d’années, les ONG et les lobbys divers ont effacé ces médiations. Et le cœur nucléaire de ce changement de paradigme, vous le connaissez : « La France n'est qu'un hôtel parmi d'autres », comme le proclame l’archiprêtre Jacques Attali. Et dans les salons de Bruxelles, dans cet hôtel qu’est devenu l’Europe de Bruxelles, les lobbys de toutes sortes vont et viennent.
Le milliardaire américain Bill Gates est, d’après le registre de la Commission européenne, le lobbyiste le plus actif sur les questions budgétaires. Ses intérêts sont connus : l’identité numérique, les vaccins, mais d’autres comme la viande synthétique ou les mini-centrales nucléaires de TerraPower restent méconnus. En revanche, qui est derrière l’ONG Citoyen mondial (Global citizen) ? Cette ONG dont vous n’avez jamais entendu parlé, ce n’est pas Médecins sans frontières, et pourtant, c’est le lobby qui a rencontré le plus fréquemment la présidente de la Commission Ursula von der Leyen : 11 fois en 6 mois en pleine pandémie ! Le lobby d’un Australien inconnu chez nous dont nous ne connaissons pas les intentions et qui est financé par Bill Gates, Cisco et Coca-Cola™.
En arrivant à Bruxelles en 2019, j’ai commencé mon mandat en interrogeant la candidate commissaire au marché intérieur, Sylvie Goulard, choisie par Emmanuel Macron. À l’époque, déjà, tous s’interrogeaient sur ses liaisons dangereuses avec un think tank américain, le fameux institut Berggruen qui la payait 13.000 euros par mois quand elle était députée européenne. On connaît la suite : Thierry Breton l’a remplacée.
Le pouvoir de l’argent qui profite à quelques-uns, le pouvoir d’achat qui profite aux Français et aux Européens doit être notre seule boussole.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ici, les commentaires sont libres.
Libres ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires.
À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats.
Les commentaires injurieux seront supprimés par le modérateur.
Merci d’avance.