Il faut aller vite, très vite, toujours plus vite. Réagir au centième de tour. Devancer le voisin qui devance le sien qui devance le sien…
Notre économie est moribonde au sortir du Covid ? Qu’importe, finissons-en : il convient de l’achever au nom de la solidarité avec l’Ukraine.
Question de morale, paraît-il. Sauf que le moral des entrepreneurs et des commerçants, lui, n’est pas au rendez-vous. S’additionnent chaque jour les fermetures qui endeuillent nos rues et transforment les galeries marchandes en déserts à mesure que nous explosent à la figure les « dégâts collatéraux » d’une mondialisation mortifère.
Les difficultés d’approvisionnement et l’augmentation exponentielle des coûts de transport n’ont pas attendu les représailles contre l’envahisseur russe pour plomber les marchés. Mais ce n’est pas suffisant, certains redressent encore la tête, alors il faut jouer d’un autre ressort.
On fait la chasse aux entreprises comme on la fait aux artistes russes. Il faut afficher son brevet de pureté, ce qui passe par le sabordage des activités et le sacrifice des populations qui les font vivre. Car la morale du jour n’a pas qu’un coût financier, elle a aussi et surtout un coût humain parfaitement inhumain. On sait bien – et tout le monde s’en moque – que les fameuses sanctions n’ont jamais eu sur les États et leurs gouvernements honnis les effets escomptés par les tenants de la vertu (cf. l’Iran). Les privations de denrées, de médicaments, de tout ce qui concourt au minimum de confort matériel, n’atteint que les peuples, pas les oligarques.
Mais il faut s’aligner coûte que coûte, obtempérer aux injonctions qui, par un judicieux effet de vases communicants, viendront une fois de plus remplir les poches de ceux qui tirent les ficelles, USA en tête. Donc, aujourd’hui, pour être dans le camp du bien, il faut impérativement quitter la Russie.
En moins d’un mois, Ikea (15.000 salariés), Carlsberg (8.400), Heineken (1.800), etc., ont franchi le pas. Chez nous, si Total a résisté, Renault a capitulé. Notre fleuron de l’automobile a mis sur le pavé ses 1.800 salariés de Moscou et envisage d’abandonner ses 68 % de participation dans AvtoVAZ, le fabricant russe des Lada (40.000 salariés). Le retrait de Russie de la marque au losange est estimé à 2,19 milliards d'euros, à quoi il faudra ajouter un impact considérable de ce côté de la frontière, disait un analyste au Figaro, car « le marché européen va connaître une récession dont on a du mal à calculer l'ampleur » (24/3/2022).
Aujourd’hui, c’est Decathlon (2.500 salariés en Russie) qui doit baisser les bras, officiellement pour des questions d’approvisionnement, officieusement parce que la pression est trop forte. Pour l’instant, les deux géants français que sont Leroy Merlin et Auchan – ils comptent respectivement 45.000 et 30.000 salariés – résistent encore.
Pour Décathlon, directement propriétaire, en Russie, de 23 magasins sur ses 60 enseignes dans le pays, c’est avant tout un problème d’image, sachant que les appels au boycott se multiplient de toute part. Or, expliquait ce week-end Yves Claude, le patron d'Auchan, dans le Journal du dimanche, « si nous partons, nous risquons l'expropriation et nous exposons nos dirigeants locaux à des poursuites pénales pour faillite frauduleuse ». L’enseigne de sport annonce donc « une pause » et non un retrait définitif, expliquant sa mise en sommeil par l’impossibilité d’acheminer la marchandise en Russie (92 % des produits vendus sont importés).
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