25 mars 2022
Le Courrier des Stratèges publie quotidiennement un bilan de l’évolution de la Guerre d’Ukraine. Avec une double perspective, croisée: la guerre sur le terrain; et le conflit stratégique global que les Etats-Unis essaient d’organiser contre la Russie – en prenant le risque très clair d’une escalade entre puissances nucléaires. Nous sommes dans une "crise des missiles de Cuba" au ralenti. L'instinct de survie et l'intelligence l'emporteront-ils sur le potentiel d'auto-destruction de l'humanité?
La guerre en Ukraine
+ La carte ci-dessus montrée par l’armée russe est intéressante à deux titres:
(1) Elle confirme les cartes que nous utilisons de différentes sources.
(2) Elle illustre parfaitement le double niveau de déploiement de la stratégie russe: frappes de précisions pour détruire le potentiel militaire ukrainien (objectifs principaux détruits en jaune). Prise de contrôle progressive au sol, à l’Est du Dnepr, en restant adossé aux frontières.
+ Si l’on en croit les chiffres russes, le pays a perdu 1380 soldats décédés et 3800 blessés graves. Et le ratio Russes/Ukrainiens mis hors de combat se maintient à 1/6 (30 000 soldats ukrainiens tués ou blessés graves)
+ Les autres éléments essentiels du bilan d’un mois de guerre dressé par le Ministère de la Défense russe – nous le reproduisons car dans une partie de médias et des expertises, au moins en France, le point de vue russe n’est jamais cité :
“L’opération spéciale russe est menée strictement selon le plan approuvé, la priorité est d’exclure les victimes inutiles parmi la population ;
Kyiv, avant le début de l’opération spéciale de la Fédération de Russie, a commencé les préparatifs à grande échelle pour l’offensive du groupe de choc des troupes tirées vers l’est de l’Ukraine ;
L’opération spéciale des forces armées russes a perturbé l’offensive à grande échelle des troupes ukrainiennes sur la République Populaire de Lougansk et la République Populaire de Donetsk et a sauvé des milliers de vies civiles ;
Il était impossible d’arrêter le génocide du régime de Kiev par des moyens politiques ;
La Russie a envisagé deux options pour mener une opération spéciale : à l’intérieur des frontières de la RPD et de la RPL ou dans toute l’Ukraine ;
Si l’opération spéciale était menée uniquement à l’intérieur de la RPL et de la RPD, alors les autorités ukrainiennes alimenteraient constamment leur groupe militaire ;
Les forces armées russes pendant les deux premiers jours d’une opération militaire spéciale ont gagné la suprématie aérienne sur l’Ukraine ;
Les forces armées de la Fédération de Russie ont bloqué Kiev, Kharkov, Tchernihiv, Sumy et Nikolaev, Kherson et la majeure partie de la région de Zaporozhye sont sous contrôle total ;
Les Forces armées de la RF causent des dommages aux installations des Forces armées de l’Ukraine dans les territoires bloqués, de sorte qu’elles ne peuvent pas renforcer le groupement dans le Donbass jusqu’à sa libération complète. Les forces armées de la FR se concentreront sur la libération complète du Donbass ;
Les forces armées de la FR n’ont pas prévu de prendre d’assaut les villes ukrainiennes bloquées, mais une telle possibilité n’est pas exclue ;
276 localités qui se trouvaient auparavant dans la zone d’opération de l’armée ukrainienne sont passées sous le contrôle de la milice populaire de la DPR et de la LPR ;
L’armée de l’air ukrainienne et le système de défense aérienne ont été presque entièrement détruits, la marine du pays a cessé d’exister ;
Les 24 formations des forces terrestres ukrainiennes ont subi des pertes importantes, Kiev n’avait plus de réserves organisées ;
Durant le mois, les pertes de l’Ukraine se sont élevées à environ 30 mille personnes, dont plus de 14 mille – irrécupérables et environ 16 mille – sanitaires ;
16 principaux aérodromes militaires des forces armées de l’Ukraine ont été vaincus, 39 arsenaux ont été détruits, qui contenaient jusqu’à 70% de tous les stocks d’équipements militaires ;
L’Ukraine compense les pertes aux dépens des personnes mobilisées et du personnel des troupes de défense territoriale qui ne disposent pas de la formation nécessaire ;
Les armes modernes russes en Ukraine ont montré une grande précision, une grande fiabilité et la possibilité d’une utilisation opérationnelle ;
Au moins 10 mines ukrainiennes ont brisé leur ancre et dérivent dans la partie occidentale de la mer Noire ;
127 ponts ont été détruits dans la zone de guerre en Ukraine, tous ont été dynamités par les nationalistes ukrainiens”
Le Ministère russe de la Défense tient à rester crédible. Par exemple sur le tableau reproduit ci-dessous il donne des chiffres précis sur la quantité de matériel et d’armes non encore détruits par l’armée russe.
+ Selon des sources biélorusses, l’Ukraine aurait besoin de 13 milliards de hryvnia (400 millions d’euros) pour pouvoir financer son effort militaire dans les semaines qui viennent et elle n’a que 600 000 euros à disposition! A cela s’ajoute la destruction de la plupart des dépôts de carburants de l’armée.
+ Les Russes continuent en effet à détruire systématiquement les dépôts de carburant de l’armée ukrainienne. Par exemple aujourd’hui à Slaviansk et à Kiev.
+ Les photos ou vidéos montrent l’étendue des destructions suite à la bataille livrée par la Russie et la République sécessionniste de Donetsk contre le bataillon Azov au centre de Marioupol. (Voir aussi ici).
+ La défense du Bataillon Azov a craqué dans presque tous quartiers qu’ils occupaient à Marioupol. Les milices ukrainiennes ont été séparées en petits groupes à travers la ville. Leur principal bastion sont les installations industrielles d’Azovstal, situées dans la partie sud de la ville, auxquelles les troupes russes sont en train de donner l’assaut final.
+ Le contrôle complet d’Izoum est confirmé. Par ailleurs, l’essentiel des combats livrés au sol concernent la conquête de points-clé qui permettront de refermer la nasse sur l’armée ukrainienne du Donbass.
+ Les Kiéviens, quand ils se retranchent dans les villes, camouflent leurs matériel dans des hangars commerciaux ou industriels. Comme à Kiev, voici quelques jours, une frappe russe a détruit un entrepot de l’armée ukrainienne à Kharkov par une frappe précise.
+ Les négociations entre Russes et Ukrainiens n’avancent pas.
+ Courageux mais pas téméraires: plus aucun volontaire étranger ne s’est présenté depuis une semaine pour combattre avec l’armée ukrainienne. La frappe sur la base de Yavorov le 13 mars 2022 a eu un effet psychologique dévastateur.
+ Le duo de mystificateurs russes Vovan et Lexus (Vladimir Kuznetsov et Alexei Stolyarov) a encore frappé un membre du gouvernement britannique: après Ben Wallace, ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur Priti Patel. Ils se sont fait passer pour le Premier ministre ukrainien Denis Chmigal et un de ses collaborateurs. Madame Patel ne s’y montre pas plus professionnelle que son collègue Ben Wallace. Elle reproche aux représentants d’Interpol leur lâcheté et prévient que l’alliance des “Five Eyes” (la plateforme de coopération des services de renseignement américains, australiens, britanniques, canadiens et néo-zélandais) va mettre sous pression Interpol. Au passage, elle traite les Russes de ‘Barbares” et, dans la suite de la conversation, elle semble acquiescer à l’idée de faire passer un test idéologique aux étudiants russes venant faire des études en Grande-Bretagne. La conversation se termine de manière loufoque puisque les deux mystificateurs font dire au ministre que “Vovan et Lexus sont des héros incroyables”.
Dans la planification de la “guerre hybride”, les Russes ont donc ajouté la dérision de l’adversaire!
+C’est extrêmement triste à constater mais le gouvernement de Boris Johnson est en train de gaspiller en quelques semaines, sur la question ukrainienne, tout le capital politique accumulé graâce au Brexit. Une délégation britannique a été reçue très froidement en Inde car elle venait pour demander au gouvernement indien de se joindre aux sanctions contre la Russie. Il semble que, depuis Washington, Londres ou Paris on ne comprenne plus le monde en train d’advenir.
+ En ce qui nous concerne, en tout cas, nous allons comme tous les soirs, nous former à l’école diplomatique de M.K. Bhadrakumar. Ce soir, il nous résume magistralement l’isolement croissant des Etats-Unis et de l’Union Européenne:
- “La
communauté internationale évite de prendre parti entre les États-Unis
et la Russie. La déclaration d’Islamabad, publiée mercredi à l’issue de
la 45e réunion des ministres des affaires étrangères des cinquante-sept
pays membres de l’Organisation de la conférence islamique, a refusé
d’approuver des sanctions contre la Russie et a préconisé la cessation
des hostilités en Ukraine, la prévention des pertes de vies humaines, le
renforcement de l’aide humanitaire et une “intensification de la
diplomatie” – ce qui correspond presque à la position de la Chine et de
l’Inde.
Pas un seul pays du continent africain et des régions d’Asie occidentale, d’Asie centrale, d’Asie du Sud et du Sud-Est n’a imposé de sanctions à la Russie. À l’issue d’une visite à Hanoï, le Premier ministre malaisien Ismail Sabri Yaakob a déclaré : “Nous avons discuté du conflit russo-ukrainien et convenu que la Malaisie et le Vietnam resteraient neutres sur cette question. Quant aux sanctions contre la Russie, nous ne les soutenons pas. Les parties ne soutiennent pas les sanctions unilatérales ; nous ne reconnaissons que les restrictions qui pourraient être imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies.” C’est également le consensus au sein de l’ASEAN.
Il est intéressant de noter que le conseiller et ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi était l’invité principal de la réunion de l’OCI à Islamabad. Dans ses remarques, Wang Yi a déclaré : “La Chine soutient la Russie et l’Ukraine dans la poursuite de leurs pourparlers de paix, et espère que ces pourparlers aboutiront à un cessez-le-feu, mettront fin aux combats et apporteront la paix. Il convient d’éviter les catastrophes humanitaires et de prévenir tout débordement de la crise ukrainienne afin de ne pas affecter et nuire aux droits et intérêts légitimes d’autres régions et pays.”
Le communiqué de presse du ministère chinois des Affaires étrangères sur la rencontre de Wang Yi avec le ministre saoudien des Affaires étrangères Faisal bin Farhan Al Saud a déclaré : “En ce qui concerne la question de l’Ukraine, les deux parties ont convenu que la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays devaient être respectées et que leurs préoccupations raisonnables en matière de sécurité devaient être prises au sérieux. Il est impératif de prévenir toute crise humanitaire, de maintenir le processus de pourparlers de paix et de résoudre les conflits par le dialogue et la négociation. Les deux parties ont souligné que tous les pays ont le droit d’émettre des jugements indépendants, de résister à la pression extérieure et de s’écarter de la logique simple du “noir ou blanc” et de “l’ami ou l’ennemi”.
Une fois encore, le communiqué de presse chinois sur la rencontre de Wang Yi avec son homologue égyptien Sameh Shoukry indique, entre autres, que “les deux parties ont échangé leurs points de vue sur la question de l’Ukraine, et ont convenu de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays et de rester engagées dans une solution globale à la crise actuelle”. Selon M. Shoukry, l’Égypte s’oppose à ce que certains pays exercent des pressions sur la Chine et est favorable à un renforcement de la coopération plutôt qu’à une escalade de la confrontation.”
Curieusement, quatre ministres des affaires étrangères d’Asie occidentale se sont rendus à Moscou la semaine dernière pour discuter de la coopération bilatérale : le Qatar, l’Iran, la Turquie et les Émirats arabes unis.”
Non moins finement, Bhadrakumar nous décrit comment la guerre d’Ukraine est en train de devenir une pomme de discorde en Europe centrale. Le groupe de Visegrad est de plus en plus divisé:
“Le fond de l’affaire, c’est que la Pologne a aussi une hache à la main, prête à retrancher certaines parties historiques de la Pologne au-delà des frontières occidentales actuelles de l’Ukraine, ethniquement mixtes – les oblasts de Zhytomyr, Khmelnytskyi et Lviv. Si l’Ukraine se fragmente ou s’effondre dans la défaite, la Pologne saisira très certainement l’occasion de récupérer ses territoires perdus. L’hyper-activisme de la Pologne à l’égard de l’Ukraine est une évidence. D’ailleurs, ces derniers jours, l’ancien ministre polonais des affaires étrangères Radoslaw Sikorski et le vice-premier ministre ukrainien Iryna Vereshchuk ont tous deux accusé Budapest de tenter de mettre la main sur la région ukrainienne de Transcarpathie, largement peuplée de Hongrois. Mardi, M. Sikorski a affirmé dans un tweet que le Premier ministre hongrois Viktor Orbán et le président Vladimir Poutine avaient conclu un accord secret sur la partition de l’Ukraine ! Le même jour, Iryna Vereshchuk s’est plainte dans une publication sur Facebook : “La façon dont les dirigeants hongrois traitent l’Ukraine ces derniers temps est encore pire que certains des États satellites russes de l’ancienne Union soviétique. La Hongrie ne soutient pas les sanctions. Elle ne fournit pas d’armes. Elle n’autorise pas le transit d’armes en provenance d’autres pays. Elle dit ‘non’ à pratiquement tout“.
Traduisez: Viktor Orban garde la tête froide dans la crise actuelle alors que les Polonais sombrent dans un doux délire. Et les Américains sont prêts à en profiter:
“M. Biden ne peut qu’explorer avec les dirigeants polonais des possibilités qui ne vont pas jusqu’à une intervention pure et simple de l’OTAN en Ukraine. Le spectre qui hante l’administration Biden, en dépit de ses fanfaronnades médiatiques, est que l’opération spéciale russe pourrait après tout être sur le point d’aboutir, créant un vaste tampon de régions sur la rive orientale du Dniepr, et prenant le contrôle du littoral de la mer Noire qui interdit l’accès aux navires de l’OTAN. La Pologne devient une partie prenante clé dans une telle issue et Washington considère certainement Varsovie comme son interlocuteur numéro un dans l’évolution de la situation, alors que le sort de l’Ukraine est dans la balance“.
Nous allons assister dans les mois qui viennent à l’implosion politique, économique, sociale de l’Europe! Et l’inconsistance de la politique française est l’une des premières causes du chaos dans lequel sombre l’Europe.
+ Ayant perdu son pari de casser l’économie russe en quelques semaines, Joe Biden se lance dans les annonces apocalyptiques; les Russes prévoieraient une attaque chimique; le monde devrait, par la faute de la Russie, se serrer la ceinture, pour se préparer à des pénuries alimentaires.
+ Ursula von der Leyen dit qu’elle s’opposera au règlement du gaz russe en roubles. Et elle annonce que l’Union Européenne va s’approvisionner “pour un tiers” de ses besoins en gaz aux Etats-Unis. Il restera donc l’Union Européenne pour voler au secours du dollar!
+ La Russie bloque les transferts de capitaux vers les pays qui l’ont sanctionnée.
+ Le Qatar refuse de se joindre aux santions contre la Russie. Son ministre de l’Energie dit qu’il est impossible pour l’Union Européenne de remplacer le gaz naturel russe par du gaz venu du Qatar.
+ Lors d’une interview accordée à Foreign Policy, le premier directeur général adjoint du FMI, Gita Gopinath, a prévenu que les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie, et plus particulièrement la confiscation des réserves libellées en dollars et en euros détenues par la Banque centrale russe, pourraient se retourner contre elle en rendant les autres banques centrales étrangères plus réticentes à détenir un montant aussi important de leurs propres réserves en dollars et en euros.
+ Il apparaît de plus en plus clairement que la Russie s’était préparée depuis plusieurs années à un scénario de sanctions beaucoup plus dures encore de la part des Etats-Unis et de l’Union Européenne. En témoigne – nous y reviendrons en détail – (1) la modernisation du système bancaire et la rapidité avec laquelle les banques se sont adaptées aux sanctions fin février-début mars 2022; (2) la possibilité ouverte immédiatement pour les détenteurs de comptes qui le souhaitaient de transférer leur épargne en yuans ou en or. (3) l’intelligence avec laquelle le gouvernement russe se sert comme d’un levier de la question des alternatives au règlements des transactions énergétiques en dollars: rouble, yuan, or, bitcoin….
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