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jeudi 17 mars 2022

L’armée française n’a-t-elle que quatre jours de munitions ?


 


Arnaud Florac 16 mars 2022

C'est, mine de rien, une petite bombe que vient de lâcher Christian Cambon, patron de la commission de du Sénat, interrogé, ce mercredi, sur RFI. Dans un contexte de aux portes de l'Europe, de retour aux conflits dits « de haute intensité » et aux affrontements entre puissances de poids égal, le sénateur LR a expliqué que la France serait à court de munitions au bout de « quatre jours au maximum ».

 « Je ne force pas le trait, a-t-il ajouté. Je pense même que mes informations sont optimistes par rapport à la réalité sur un certain nombre de points. »

Quatre jours. Ce n'est même pas une semaine ouvrable : attaqués le lundi matin, nous serions désarmés le jeudi soir. Qu'en penser ? D'abord, comme le dit Christian Cambon, nos stocks de munitions sont employés sur les théâtres d'opérations, dans la bande sahélo-saharienne (BSS) notamment. Nous devons donc les renouveler plus fréquemment. Toutefois (et c'est le second point), le fait que le sénateur insiste sur le caractère douteux de certaines informations doit nous alerter. Peut-être les armées, comme le régisseur malhonnête de la Bible (Lc, 16; 1-13), tripatouillent-elles les comptes pour rendre aux parlementaires une copie un peu plus propre que la réalité. « Faites-vous des amis avec cet argent malhonnête », concluait Jésus-Christ avec un pragmatisme qui surprend parfois les fidèles - et qui ne devrait évidemment pas, mais je sors de mon rôle, être interprété au premier degré. Les armées ont-elles cherché à se faire des amis avec des comptes rendus malhonnêtes, à « conquérir des ressources » pendant des années, quand Chirac, puis Sarkozy, puis Hollande les saignaient jusqu'à l'os ? On ne le sait pas. Les données de la commission de Défense sont-elles fiables, optimistes ou pessimistes ? On l'ignore.

Troisièmement, le spectre de la drôle de fait son retour, jusque dans le discours du sénateur : « Nous ne voudrions pas nous retrouver dans une situation identique si jamais le conflit arrive jusqu'à nos portes, ce que nous n'osons pas croire. » Depuis longtemps, l' de la République traîne l'image, probablement liée au service militaire autant qu'à la débâcle de 1940, d'une bande de franchouillards incompétents, défaits au premier coup de fusil, roublards et lâches. Une image qui ne correspond pas à la réalité. Ce n'est pas rendre justice à un millénaire de gloire (la France est le pays du monde qui a emporté le plus de victoires militaires) ni aux victoires tactiques plus récentes, défaites par des décisions politiques, ni, tout près de nous, aux héros tombés pour la France, dans une indifférence quasi générale, sur les théâtres d'opérations extérieures. Cependant, si nos armées sont fortes et se densifient encore pour durer et encaisser les chocs, elles ne sont rien - il en a déjà été question ici - sans le soutien de leur peuple. La défaite de 1940 a été celle de tout un pays, lassé par les horreurs de 1914, plein de certitudes, commandé par des officiers de temps de paix, gouverné par des politiciens de temps de paix, un pays persuadé d'aller « pendre son linge sur la ligne Siegfried » et qui, dès l'été 1940, voyait les uniformes vert-de-gris défiler sur les Champs-Élysées.

Quatre jours de munitions, ce n'est pas beaucoup. Le manque d'épaisseur logistique de l' française, Christian Cambon l'affirme, n'est pas une nouveauté. En voulant rester indépendante, et posséder en propre toute la gamme des effets militaires, la France s'est condamnée, sous les coups de ciseaux de Bercy, à ne produire que des échantillons.

Et maintenant, que faire ? Relancer la production ? Probablement. Augmenter les budgets ? Qui y croit encore ? Tout au plus peut-on faire cesser l'hémorragie. C'est ce qu'a fait Emmanuel Macron, quoique pas autant que prévu. Rogner sur d'autres budgets ? C'est ce que propose Eric Zemmour, qui prétend résoudre une bonne partie des déficits en mettant un terme à notre modèle social, généreux jusqu'à la bêtise.

Quatre jours de munitions. Gardons bien cela en tête avant d'aller inaugurer des fresques, d'organiser des concerts, de déprogrammer Tchaïkovsky et d'interdire les concours de chats russes. La diplomatie des bougies et des peluches a vécu. Sur les marches du Kremlin, on ne chante pas « Imagine » en pleurant quand il y a des morts. Du côté de Pékin, on n'écrit pas « Vous n'aurez pas ma haine » à la craie sur les murs des bars à jus. Je ne dis pas que ce n'est pas regrettable : il est bien pratique de se prendre pour Jean Moulin quand on boit un coup en terrasse, pour montrer aux djihadistes qu'on n'a pas peur. Il est bien confortable de vanter le nationalisme ukrainien quand, comme Mathieu Kassovitz, on a passé sa carrière à cracher sur le patriotisme français. Mais les temps ont changé. Ils se mesurent désormais en jours de combat.

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