Jeudi 24 février, sur France 2,
Dominique de Villepin était opposé à Bernard-Henri Lévy.
Villepin est
un diplomate chiraquien, qui a prononcé le magnifique discours de 2003
aux Nations Unies, contre l'intervention en Irak.
Lévy est un écrivain «
engagé », qui a couvert tous les conflits des trente dernières années
en chemise blanche. C'est à Villepin que nous devons, certes, les
émeutes ethniques de 2005 et leur règlement par des imams. Mais c'est à
Lévy que nous devons l'intervention de Sarkozy en Libye, et le chaos qui
a suivi. Il aurait pu s'agir d'un combat de catch de seconde zone entre
deux has-been de la géopolitique. Il n'en a rien été.
On aurait tort de prendre Dominique de Villepin pour sa
propre caricature. Volontiers tourné en dérision pour ses poses de
hussard de la diplomatie, de poète napoléonien échevelé, gentiment moqué
dans Quai d'Orsay, l'ancien Premier ministre a été
définitivement mis hors de combat par Sarkozy, dont il était la parfaite
antithèse. S'il avait été un peu moins brillant, un peu plus à droite,
un peu plus tribun, qui sait... En tous les cas, il affrontait ce jeudi
un monument de l'échec géopolitique français.
Pour le coup, en effet, on aurait raison de prendre
Bernard-Henri Lévy pour sa propre caricature. C'est même à se demander
s'il y a quelque chose d'autre à en retenir. Plagiaire, égocentrique, il
a écumé les théâtres d'opérations français en chemise blanche et gilet
pare-balles : sur la pointe des pieds pour être plus grand que les
Kurdes, posté, comme un reporter de guerre, derrière un muret au-delà
duquel les Serbes allaient tranquillement, dans la rue, acheter des
clopes... Impayable! Il en est toujours revenu sans une égratignure,
avec de grandes phrases creuses (sa chronique hebdomadaire du Point
est un modèle du genre) et des solutions définitives, clés en main,
pour politiciens faibles. Comme beaucoup de gens qui n'ont pas connu le
feu, Bernard-Henri Lévy a une fascination trouble pour l'emploi de la
force brute. Il faut, selon lui, « surenchérir » face à Poutine. Ce
n'est pas lui qui surenchérira, entendons-nous bien : à la guerre, il
fait froid, on a peur, et on se salit les habits. Mais il est tout prêt à
encourager les puissance occidentales à donner une bonne leçon à l'ogre
russe. Il lira alors le Battle Damage Assessment (BDA) à la terrasse du
Flore en terminant son allongé.
Villepin lui a tout simplement rappelé, jeudi soir, deux
choses essentielles. D'abord, le souvenir des peuples que notre propre
vanité occidentale a martyrisés : Irakiens, Libyens (il aurait pu dire
Serbes et Maliens) portent encore dans leur chair et sur leur sol les
horribles traces de nos généreux sentiments. Ensuite, les « postures de
plateaux télé », comme il l'a dit avant de quitter l'émission, ne mènent
nulle part. Partisan d'une solution négociée, comme Sarkozy, comme
Mélenchon, Dominique de Villepin sait bien que les vociférations
télévisuelles n'ont rien à voir avec l'engagement de sa propre peau sur
un champ de bataille.
Que faire? #Villepin qui ne se lasse pas de revivre son moment irakien, a sa solution: palabres, risettes, et «judo». Au mieux, la même niaiserie qui a pavé la voie aux tanks de #Poutine. Au pire, offense aux #Ukrainiens dont les souffrances semblent son dernier souci. Dommage… pic.twitter.com/y1yGmtE9OO
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) February 25, 2022
Monsieur Lévy s'est vengé sur Twitter, avec un courage
parfaitement représentatif de son sens de l'engagement physique. J'ai le
souvenir de l'avoir vu une seule fois sur le point de se battre à la
télévision : quand il avait été entarté dans les années 80. Il était
hors de lui et même un peu vulgaire, sur le mode « allez, ramène ta
g...» Desproges s'était magnifiquement moqué de lui, en une formule sur
le vrai visage des cuistres. Tout un symbole. Ce jeudi, Monsieur de
Villepin, lui, est parti du plateau avant que les choses ne dégénèrent,
comme Chirac son maître, en 2001, quand on avait sifflé la Marseillaise
pendant le match France-Algérie. On en conclura bien ce que l'on veut
sur ce que Soljenitsyne appelait le déclin du courage. Toujours est-il
que Villepin avait parfaitement raison sur le fond, et que même la
France insoumise lui a rendu cet hommage.
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