La
nécessaire remise en activité du pays, alors que s’entame son
effondrement, a obligé l’État, en dépit de sa réserve, à lâcher
progressivement du lest sur les activités qui constituent une vie
humaine normale.
L’école était la première victime de ce déconfinement.
Alors que les enfants seraient peu touchés et peu vecteurs du Covid-19, et malgré l’entêtement des médias à nous servir l’épouvantail de Kawasaki, il aura fallu prendre mille précautions.
Port du masque obligatoire, dilatation des espaces et accueil à temps partiel, l’école est désormais un endroit terriblement anxiogène, s’il n’y avait le dévouement remarquable des maîtresses à en faire un jeu.
Tout ceci au détriment des apprentissages ; mais peut-on décemment leur demander davantage ?
Les magasins, eux, n’avaient jamais complètement fermé.
Bien entendu, je parle des grandes surfaces.
Il est médicalement prouvé que le commerçant de quartier est bien plus contaminant qu’un mastodonte de la distribution.
Après avoir tué le premier au profit du second, il fallut tout de même veiller à rendre l’acte d’achat le plus insupportable possible, grâce aux files d’attente, aux employés masqués et à la caisse où ne règne plus que du plastique, partout.
À ceux que l’inconscience aurait poussés à commander par Internet, le « drive » n’a plus rien d’une partie de plaisir.
C’est article par article qu’il faudra charger le véhicule, en limitant les contacts, surtout humains. C’est, paraît-il, la garantie ultime d’une protection virale.
D’autres voulaient en profiter pour lire.
C’est irresponsable : rappelons combien le livre est contaminant.
La bibliothèque municipale est d’ailleurs fermée (trop dangereux), et ne rouvrira qu’en mode « drive ». Les livres seront empruntés par Internet, les « commandes » préparées et un retrait prévu.
Nous ne feuilletterons désormais que des pixels, car un bit est bien moins sensible au virus qu’une page. Il le faut pour notre sécurité à tous.
Les restaurants sont, par ailleurs, un endroit beaucoup trop convivial.
De ce fait, on veillera à vous enclocher sous des abat-jour de Plexiglas™ qui, croyez-le, ne feront pas de vous des lumières.
On en viendrait même à se dire que c’est grotesque, bien qu’une telle pensée soit condamnable.
Nous agissons tous ainsi pour lutter contre le virus et sauver des vies.
Il est aussi dangereux de faire du sport, de prendre un café entre collègues, d’aller au parc d’attractions ou de se rendre à la messe.
Soyez-en bien conscients et adoptez les bons gestes.
Et si, finalement, tout ceci vous consterne, vous qui cherchiez un coin chargé de virus sans contraintes pour fuir la bêtise des hommes, ne commettez pas l’imprudence de vous rendre à la plage. Rester à ne rien faire étant le meilleur moyen de faire proliférer le virus, l’État instaure la bougeotte obligatoire et baptise ce nouveau concept « plage dynamique ».
Il y est donc interdit de se poser, de bronzer, de discuter ou de déjeuner.
Dieu merci, personne ne songe à faire de pareilles choses sur une plage.
Quand vous aurez passé votre vie en sac plastique, distanciés les uns des autres, en drôles d’accoutrements, et que cette vie ne sera plus une vie, pensez bien à passer votre corde au gel hydroalcoolique.
Il serait malheureux qu’un quidam se contamine en vous enterrant.
Pierre Martineau
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