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jeudi 17 décembre 2020

Ehpad : “Votre temps est écoulé !”

 

 

“Tiens regarde, lui qui est gourmand, si on lui prenait ces chocolats fondants ? Au moins il n’aura pas de mal à les mâcher.” 

Ainsi, la semaine dernière, nous apprêtions-nous à rendre visite à mon beau-père dans un EHPAD. Il avait fallu au préalable prendre rendez-vous et bien confirmer que nous serions seuls, le nombre de visiteurs étant strictement limité à deux.

 
Bon, on savait bien que l’on ne pourrait pas l’emmener faire un tour en voiture… Lui qui prenait tant de plaisir à revoir sa campagne, les bois où il avait joué pendant toute son enfance, passer encore une fois devant la maison où il est né. Voilà neuf mois déjà qu’à chaque visite on essaye d’expliquer, en parlant fort derrière le masque, que les sorties sont interdites à cause d’un virus. Il ne saisit pas tout. Il veut bien admettre qu’un masque puisse empêcher la propagation d’une maladie, mais il ne comprend pas où est le danger à faire une petite virée en voiture. Neuf mois !
Ma foi, on se dit qu’il sera quand-même content de nous voir, comme à chaque fois, et on pourra toujours jouer au “Triomino”, ce jeu qu’on lui avait apporté pour son anniversaire, bien caché sous la veste, parce qu’aucun cadeau venant de l’extérieur, nous en avions été avertis, ne serait toléré. Et puis si la pluie s’arrête on pourra faire quelques pas dehors…
Déjà, en entrant on ne risque pas de louper le gros flacon de gel hydroalcoolique (bon, là on est d’accord) et derrière, campée, autoritaire parce que complètement stressée, la “responsable” du moment. Sans aucun ménagement, elle nous prend des mains boîte de chocolats et programme télé. “On lui donnera demain”. “Ah bon ! Et qu’est-ce que ça change demain ?” C’est comme ça. Ce sont les consignes. Ensuite, manu militari, injonction de nous placer devant un espèce de bidule ingénieux qui nous déclame à haute voix l’un après l’autre que notre température est normale. Ce n’est pas tout, obligation d’inscrire nos noms, adresse et personne visitée. Pressés d’en finir et déjà quelque peu agacés, nous commençons à allonger le pas pour nous diriger vers la chambre. “Non non non, M. D. n’est pas dans sa chambre, je vais vous accompagner.”

Il se met à pleurer…

Nous entrons. C’est une pièce carrée, pas très grande, une table au milieu. Mon beau-père est assis dans un coin, très près du mur. Nous sommes priés de ne pas nous approcher de lui, de contourner la table et de nous asseoir de l’autre côté. “Vous avez vingt minutes, gardez bien vos masques et laissez la porte ouverte. Et vous ne devez pas sortir de la pièce.” Je suis sidérée et je réprime des larmes de rage. Mais il faut essayer de faire bonne figure et parler de la pluie et du beau temps en haussant la voix parce qu’on est loin et que mon beau-père n’entend pas bien.
Il ne connaît pas cette pièce et ne comprend pas ce qu’on fait là. “Qu’est-ce qu’on va faire ? On va jouer dans la chambre ? On va faire un tour en voiture ? Ah bon, alors on peut aller un peu dehors quand-même ? Et maman, elle est pas venue ?” Autant de questions et d’étonnement pour lesquels nous avons bien du mal à trouver des réponses ou des explications qui puissent apaiser !
“Votre temps est écoulé !” L’autorité a parlé ! Elle prend mon beau-père par le bras et le fait asseoir dans le hall en attendant sans doute qu’une infirmière passe par là et le reconduise dans sa chambre. De loin, nous lui disons au revoir, que belle-maman viendra mardi, que nous reviendrons vendredi prochain.

 
Il se met à pleurer. A un moment donné il va falloir dire STOP ! Non ?

 
Stop à cette cœrcition ! Obligations, interdictions, contradictions, menaces, contrôles. Stop à toutes ces alternances de sanctions et d’indulgences en fonction de notre “sagesse”. Stop à toutes ces mesures qui relèvent de la torture ! Autant de mesures basées sur la peur dont la finalité apparaît de plus en plus clairement : nous rendre totalement soumis, dépendants d’une autorité, épuisés, sans plus de capacités à résister.

 
Alors plutôt que se terrer par peur de mourir, si nous prenions le risque de vivre ?

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