Il fut l’un des derniers survivants de l’enfer de Diên Biên Phu, un soldat de Bigeard, un homme de devoir, de courage, de silence. Stanislas Butryn est mort le 9 juin 2025, à l’âge de 89 ans.
Dans un pays dirigé par un pouvoir plus prompt à honorer les ennemis d’hier que les combattants de la France, sa disparition n’a guère suscité d’émotion officielle — si ce n’est un hommage de circonstance, hypocritement relayé par la Ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, ministre d’un gouvernement qui s’agenouille devant l’Algérie, il faut le rappeler.
Deux sauts sur Diên Biên Phu, et une marche de 800 km dans la jungle
À 18 ans, en 1952, Stanislas Butryn s’engage dans les troupes aéroportées et rejoint le mythique 6e BPC de Marcel Bigeard. Il saute une première fois sur Diên Biên Phu le 20 novembre 1953. Il y retournera dans l’enfer du feu le 15 mars 1954, alors que le camp retranché est déjà encerclé. Il participe aux combats acharnés, jusqu’à la chute finale.
Fait prisonnier, il entame avec des milliers d’autres captifs une marche à travers la jungle vietnamienne. Huit cents kilomètres de souffrance, d’épuisement, de fièvres, de morts anonymes et de camarades abandonnés aux fossés. Il survivra aux camps du Viêt-Minh. Ce que beaucoup n’ont pas fait.
Un fait d’armes, longtemps ignoré, illustre la noblesse silencieuse de cet homme. Boulevard Voltaire, dans un superbe article d’Arnaud Florac, le rappelle. Dans la nuit du 3 au 4 mai 1954, il reconnaît dans le no man’s land un camarade laissé pour mort par les Viets, dépouillé de sa plaque d’identité. Il obtient l’autorisation de le ramener, et le porte sur son dos, sous les balles, traversant une rivière, avant de le déposer vivant au poste de secours… puis de repartir au combat. Il ne racontera jamais cette histoire. Elle ne sera révélée qu’en 2014.
Stanislas Butryn était titulaire de la Médaille militaire (à 21 ans), de la Légion d’honneur et de l’Ordre national du Mérite. Cinq fois cité, deux fois à l’ordre de l’armée.
Le ministère salue. Le président Macron, lui, saluait Ho Chi Minh.
Les autorités ont, timidement, rendu hommage à sa mémoire. Mais quelle valeur donner à ces hommages, lorsque le président de la République lui-même, en visite au Vietnam en 2023, allait se recueillir à Hanoï devant le mausolée de Ho Chi Minh, le bourreau communiste des soldats français comme des centaines de milliers de Vietnamiens ?
Quelle dignité y a-t-il à honorer d’un côté les combattants français morts pour leur pays, et de l’autre, saluer l’idéologue responsable des tortures, des famines organisées, des massacres de prisonniers et des purges dans son propre camp ?
Une France qui oublie ses héros, mais se souvient de ses ennemis
Le contraste est cruel. D’un côté, un héros, un vieil homme qui meurt dans l’ombre, loin des projecteurs, symbole d’une génération de guerriers effacés, mais debout. De l’autre, une République qui préfère faire mémoire de ses défaites et de ses bourreaux plutôt que de ses héros. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de l’Indochine dans la conscience collective française : quelques films, une poignée de livres, quelques anciens qui s’éteignent dans l’oubli. Le devoir de mémoire a été remplacé par le devoir d’amnésie.
Stanislas Butryn appartenait à cette lignée d’hommes qui n’attendaient pas les médailles mais combattaient pour une certaine idée de la France. Une France forte, digne, qui ne baissait pas les yeux, qui ne confondait pas ses ennemis et ses enfants.
Diên Biên Phu : le courage jusqu’au bout, l’honneur dans la défaite
13 mars – 7 mai 1954 : au fond d’une vallée perdue du Nord-Tonkin, l’armée française vit l’un des épisodes les plus tragiques, mais aussi les plus héroïques de son histoire contemporaine. Pendant 56 jours, les soldats du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) résistèrent à l’assaut massif des forces du Viêt-Minh dans ce qui restera comme la plus grande bataille de la guerre d’Indochine, et son épilogue sanglant. Mais si Diên Biên Phu fut une défaite militaire, elle reste, pour ceux qui l’ont vécue ou étudiée, une victoire de l’esprit de sacrifice et de fidélité au devoir.
En 1953, le commandement français, dirigé par le général Henri Navarre, entend redonner l’initiative à l’armée française. L’idée est simple : établir une base aéro-terrestre dans la vallée de Diên Biên Phu, au nord-ouest du Vietnam, près de la frontière laotienne. Objectif : attirer le gros des forces du Viêt-Minh dans une bataille rangée, dans un endroit isolé mais supposé contrôlable par les airs. La cuvette est jugée idéale pour y fixer les divisions ennemies, les bombarder depuis les hauteurs, et les anéantir.
Mais les stratèges français sous-estiment gravement les capacités logistiques et opérationnelles du Viêt-Minh, dirigé par le général Giap, ancien instituteur formé à la guerre populaire.
Dès novembre 1953, les premiers parachutistes français sautent sur
Diên Biên Phu. Des milliers de tonnes de matériel sont acheminées par
avion. La garnison monte à près de 15 000 hommes :
légionnaires, marsouins, tirailleurs africains et nord-africains, Thaïs
fidèles à la France, parachutistes coloniaux du 6e BPC de Bigeard.
Des soldats jeunes, aguerris, souvent idéalistes. Beaucoup se battent là pour la France, d’autres pour une cause perdue, certains par fidélité à leurs frères d’armes.
Mais le Viêt-Minh encercle progressivement la cuvette, transporte à la main des canons de 105 mm et des pièces d’artillerie jusque sur les hauteurs. Une performance logistique titanesque. Lorsque le feu s’ouvre le 13 mars 1954, Diên Biên Phu devient un piège mortel.
56 jours d’enfer, 56 jours de résistance héroïque
Le camp est divisé en plusieurs points d’appui, baptisés de noms féminins : Béatrice, Gabrielle, Anne-Marie, Dominique, Éliane, Claudine… Tous vont tomber, au prix de combats acharnés, souvent au corps-à-corps. Les parachutistes sautent parfois sur des zones déjà prises par l’ennemi. Les blessés sont soignés dans des conditions effroyables. L’artillerie ennemie écrase la piste d’aviation, coupant le camp du ravitaillement. Seuls les parachutages de nuit permettent de maintenir un semblant de logistique.
Malgré cela, la résistance tient. Des
contre-attaques sont menées. Des faits d’armes se succèdent : des hommes
se battent jusqu’à la dernière cartouche, refusent de se rendre, s’enterrent dans les tranchées, souvent sans espoir de retour. Ce n’est pas une retraite, c’est une tenue du front jusqu’au bout, dans des conditions extrêmes.
Le 7 mai 1954, le camp est submergé. La bataille est perdue. Plus de 10 000 Français sont faits prisonniers.
Commence alors la longue marche vers les camps de prisonniers du Nord-Vietnam. Près de 800 km à pied dans la jungle, sous la pluie, affamés, blessés, sans soins. Sur 10 000 prisonniers, à peine 3 300 survivront. Les autres mourront d’épuisement, de dysenterie, ou seront exécutés. La France, elle, pleure ses morts dans le silence. Les politiques, bientôt accaparés par les Accords de Genève, préfèrent oublier.
Le Viêt-Minh mène une guerre de libération nationale, idéologiquement communiste, mais puissamment soutenue par l’URSS et la Chine de Mao. La France, usée par la Seconde Guerre mondiale, affaiblie par la décolonisation, y mène une guerre à la fois militaire et politique. Diên Biên Phu illustre les limites de l’armée française dans une guerre asymétrique : manque de moyens aériens durables, mauvaise évaluation de l’ennemi, erreurs stratégiques. Mais ce n’est pas sur le terrain que le courage a manqué — bien au contraire.
La défaite de Diên Biên Phu précipite la signature des Accords de Genève en juillet 1954. Le Vietnam est coupé en deux : au nord, le régime communiste de Hô Chi Minh ; au sud, une République anticommuniste soutenue par les États-Unis.
La France quitte l’Indochine, laissant place à une nouvelle guerre, celle du Vietnam.
Aujourd’hui, le nom de Diên Biên Phu est parfois moqué, ou oublié. On parle de « bataille coloniale », de « défaite inutile ». C’est faire insulte à ceux qui y ont laissé leur jeunesse, leur santé, leur vie. Les Bigeard, les Butryn, les haut-parleurs du camp qui hurlent en vain « Tenez bon », les anonymes, tous ceux dont la tombe se perd dans les forêts du Tonkin : ils ne se sont pas battus pour la gloire, mais pour leurs camarades, pour leur honneur, pour leur pays. Diên Biên Phu fut une défaite militaire. Mais c’est une victoire morale éternelle. Celle d’une poignée d’hommes refusant de céder, dans une guerre déjà perdue. Une France debout au fond d’un trou d’obus, qui n’a jamais baissé les yeux.
YV.
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025 dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ici, les commentaires sont libres.
Libres ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires.
À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats.
Les commentaires injurieux seront supprimés par le modérateur.
Merci d’avance.