La commission d'enquête parlementaire sur notre souveraineté énergétique va rendre son rapport.
Elle pointe du doigt le délitement de notre souveraineté pour de basses raisons idéologiques et électoralistes. Pour le spécialiste des questions énergétiques Fabien Bouglé*, sans être révolutionnaire, ce rapport donne raison aux voix qui s'élèvent depuis des décennies contre cette politique suicidaire.
Marc Eynaud. Que pensez-vous du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur notre souveraineté énergétique ?
Fabien Bouglé. J'ai traité de ce sujet dans deux ouvrages et j’ai la satisfaction de voir les problématiques de souveraineté énergétique enfin évoquées au sein de l’Assemblée nationale par ce rapport de la commission d’enquête. Par ailleurs, je regrette de voir certains points vraiment essentiels non abordés par ce rapport.
Les travaux de la commission d’enquête ont bien souligné le sabotage de la filière nucléaire française et le fait qu’il fallait, absolument et sans délai, rétablir le développement de cette filière. Et surtout donner les conditions financières à EDF pour être refinanciarisée en supprimant le dispositif scélérat de l'ARENH. La commission d’enquête propose en urgence sa suppression. Ceci est satisfaisant car ce dispositif contraint EDF de vendre à ses concurrents presque 45 % de sa production électrique à prix cassés. Elle la vendait à 42 € le Mégawatt-heure quand ses entreprises clientes pouvaient la vendre au prix du marché. En 2022, le prix était de 275 € le Mégawatt-heure, cela fait un manque-à-gagner considérable.
M.E. Comment expliquer cet abandon ?
F.B. Le péché originel de la destruction de la filière nucléaire française a été l’arrêt de Superphénix, arrêté tout d’abord avec le lobbying de Corinne Lepage lorsqu’elle était ministre de l’environnement, puis avec l’accord électoral entre Lionel Jospin et Dominique Voynet. Cet accord faisait que la gauche plurielle ne pouvait gouverner qu’avec une alliance entre le Parti socialiste et les Verts. Dans cet accord, il y avait la fermeture de Superphénix. Rappelons que Superphénix est un réacteur à neutrons rapides mangeur de déchets nucléaires des autres centrales en activité. Ce réacteur permettait de produire de l’électricité avec les déchets nucléaires. C’était donc une fermeture du cycle de l’atome. Cela a fragilisé complètement la filière nucléaire. Alors que nous avions une solution pour traiter les déchets nucléaires, on a détruit cette solution. Par ailleurs, Superphénix permettait de produire une puissance d’électricité, 100 fois supérieure à celle des centrales nucléaires classiques. La France avait 30 ans d’avance sur le monde entier en matière de réacteurs à neutrons rapides. D’ailleurs, aujourd’hui, Bill Gates réutilise cette technologie, après avoir reçu des financements du département à l’énergie américain.
Par la suite, le mécanisme de destruction a continué par les accords politiques. Pendant la période Sarkozy, il y a eu une amélioration mais à partir de François Hollande, cela a été une catastrophe car on a d’abord donné la part du nucléaire à 50 % dans une décision politique, sans fondement scientifique, tout en augmentant la part des éoliennes avec la loi Brottes. À partir de ce moment-là, comme EDF devait baisser la part du nucléaire, on a eu une déconstruction des centrales nucléaires, idéologiquement, scientifiquement et financièrement. Lors de la crise gazière en 2021, on s’est rendu compte que nos centrales nucléaires étaient un atout pour la France. Il a fallu être en état de guerre pour se rendre compte que le nucléaire était un atout maître de la France, à la fois pour ses ressources énergétiques, sa souveraineté énergétique, et surtout pour une production de l’électricité parmi les moins chères d' Europe, assurant la compétitivité industrielle de la France. Pendant 20 ans, on a détruit un outil industriel majeur et on s’en est rendu compte un peu tard. Heureusement on a fini par réagir.
M.E. Quelle leçon doit-on tirer de cet épisode ?
F. B. La première trahison énergétique française est la fermeture de Fessenheim. En effet, en prenant les chiffres d’importation de l’électricité en 2022, pour la première fois, la France a été déshonorée en devant importer 16 Térawatt-heure d’électricité de l’étranger, alors que jusqu’à présent, nous exportions autour de 50 Térawatt-heure. Les 16 Térawatt-heure que nous importons équivalent à peu près à la production de Fessenheim avant sa fermeture. En fermant Fessenheim, on a détruit 2 % à 3 % de la production électrique française qui manquent cruellement aujourd’hui. Il y a quelques années, on voulait fermer 24 réacteurs nucléaires comme ceux de Fessenheim. Cela a été réduit à 12. Et maintenant on se rend compte qu’il faut construire des centrales nucléaires.
Je suis plutôt optimiste car la filière nucléaire est une filière d’avenir. Elle représente deux cents mille emplois directs et indirects, plus deux cents mille emplois induits. C'est la troisième filière industrielle française, on a un potentiel considérable, avec des gens de qualité. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes veulent s’orienter vers cette filière et abandonner la filière éolienne ou charbonnière. Le constat de la commission d’enquête sur ce point est plutôt satisfaisant, mais nous allons devoir nous retrousser les manches, après 20 ans et en particulier 10 ans de sabotage politique du nucléaire français.
*Fabien Bouglé a publié deux ouvrages sur la question : Eoliennes, la face noire de la transition écologique et Nucléaire : les vérités cachées (aux éditions du Rocher)
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