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jeudi 9 décembre 2021

Lettre à Marie [par Jean-Paul Pelras]





le 23 décembre 2006 tu es donc partie nous laissant seuls, assis dans le vide, quelque part entre “l’irrémédiable et l’insaisissable”. 
Tu aurais 97 ans aujourd’hui et tu n’apprécierais certainement pas ce que ce monde est en train de devenir. Ce monde qui perd ses quatre points cardinaux, ce monde où certains ne veulent plus donner de prénom à leurs enfants afin de leur laisser choisir le “genre” qui leur conviendra plus tard. Ce monde où, du côté de Bruxelles, quelques commissaires européens, totalement inutiles et pourtant payés 20 832 euros par mois pour pondre des lois qui le sont tout autant, viennent de rédiger un bréviaire ou ils parlent de toi. Enfin, pour être plus précis, où ils ne veulent plus entendre parler de toi.
La dame, Héléna Dalli, “autrice” du dit manuscrit, s’adresse sur une trentaine de pages aux fonctionnaires européens afin de promouvoir une communication dite inclusive. Laquelle vise à écarter du langage courant des mots comme “citoyen”, car ce terme pourrait être considéré comme “excluant” pour les migrants. Autre recommandation figurant dans ce petit lexique, à n’en point douter essentiel pour brasser du vent, ne plus employer “Mesdames et Messieurs”. Ou encore préférer aux termes “épouse, mari, père et mère” ceux de “conjoint, partenaire, parent”. Enfin et entre autres instructions venues du wokisme, notons celle qui consiste à ne plus utiliser les prénoms Marie et Jean (Maria et John dans le texte), mais plutôt Malika et Julio…
Te voici donc, maman, devenue persona non grata avec bon nombre de “Marie” à commencer par mon épouse et quelques proches apparentées, au sein d’une Commission européenne qui fait mumuse (avant de quelque peu rétrograder …) avec les patronymes, alors que Poutine installe ses chars aux portes de l’Ukraine pour nous refaire, peut-être, le coup de la Crimée. C’est dire si nos technocrates ont le sens du stratège et des priorités…

“À Marie” débutait Jean d’Ormesson en introduction d’un mot qu’il me destina le jour où tu es partie. À Marie, de Nazareth en Galilée ou du Fau de Peyre en Lozère. À Marie, mère de Dieu ou mère des hommes qui fut le début de leur propre histoire. À Marie, dont le prénom restera gravé sur les chemins de ma mémoire, jusqu’au dernières nuances de ma vie. À Marie, dont certains veulent sacrifier l’usage car il est devenu politiquement incorrect, car il est tout simplement l’intercesseur d’une religion.
Si tu savais, maman, tout ce que nous sommes en train de perdre ici-bas, de ces prénoms que l’on ne doit plus donner à ces fêtes que l’on ne doit plus célébrer, en passant par ces drapeaux qu’il ne faut plus hisser, ces traditions qu’il ne faut plus enseigner, ces révoltes qu’il ne faut plus oser, ces plaisirs qu’il faut oublier, ce panache qu’il ne faut plus revendiquer et ces libertés qu’il ne faut plus réclamer.
Avec papa, vous nous avez montré le chemin si compliqué des choses que l’on dit simples. Elles étaient compliquées car vous étiez ouvriers. Elles étaient simples car vous saviez ce qu’était la sagesse, le courage et la dignité.

Cette époque est devenue celle de la bêtise assumée, du repentir idéalisé et de la vanité décomplexée. Quelque part, et seulement en quelques années, au pays de ceux qui croient tout savoir et pouvoir tout imposer, par mépris, par déni, sans jamais avoir côtoyé la réalité. 
 
Et à bien y regarder, Marie, sans jamais avoir existé.

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