Jean Cabannes a démissionné du Conseil supérieur de la magistrature un mois après sa mise en examen pour quatre agressions sexuelles. DR
Ce 5 février 2020, les images de vidéosurveillance de la RATP montrent un homme portant un costume et une écharpe bleue, changeant de rame à chaque station sur la ligne 7.
« Il avait un profil de prédateur et ne restait dans un wagon que lorsqu'il avait trouvé une proie », commentent les enquêteurs. Ce jour-là, une jeune femme de 19 ans est agressée sexuellement dans le métro par ce suspect.
Trois autres femmes, un peu plus âgées, ont été, elles aussi, victimes de violences sexuelles en 2018 et 2019 selon le même mode opératoire, dans le même secteur. Des images permettent de rapprocher les quatre affaires, ainsi qu'un détail : le suspect tremble anormalement des mains.
Après un long travail d'enquête, un homme est placé en garde à vue le 18 mai. Et ce n'est pas n'importe qui. Il s'agit de Jean Cabannes, 65 ans, officier de l'Ordre national de la Légion d'honneur et officier de l'Ordre national du Mérite. Ce haut fonctionnaire est membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Une fonction qu'il occupe depuis janvier 2019. Pour quatre ans, Jean Cabannes, ex-directeur de cabinet du président du Sénat, est chargé notamment de nommer et juger les magistrats. C'est sur ses trajets vers le CSM qu'il aurait approché ses victimes. L'instance acte sa démission le 12 juin, alors qu'une commission devait statuer sur son cas. « Il a été mis en examen un mois plus tôt, le 19 mai, pour quatre agressions sexuelles et placé sous contrôle judiciaire », confirme une source judiciaire.
Le dénouement dans cette affaire prend sa source lors de la déposition de la quatrième victime, le 5 février. La jeune femme raconte qu'un homme est monté dans sa rame à la station Jussieu (Paris). Il est venu directement se poster derrière elle avant de toucher son sexe. Elle demande à son agresseur d'arrêter. Pour toute réponse, celui-ci l'aurait alors regardée avec un petit sourire, avant de lui montrer son excitation en se léchant les lèvres.
Mais dès le 6 janvier 2018 une femme s'était rendue au commissariat pour le même type de faits. Elle explique qu'elle a été abordée dans la rue, près de la station Châtelet, par un homme qui lui a proposé un massage. Ce dernier lui aurait palpé les seins avant de l'embrasser de force.
Un an plus tard, le 20 mars 2019, c'est cette fois dans la rame du métro de la ligne 7 qu'une femme affirme qu'on lui a touché le sexe. Et trois semaines s'écoulent avant un nouveau signalement. Le 15 avril, toujours sur la ligne 7, un homme s'est assis sur un strapontin à côté d'une femme et aurait glissé sa main entre les jambes de la victime.
Des
recherches intenses sont effectuées durant les mois de février et mars
2020 suivant la plainte la plus récente, le long de la ligne 7. Des
commerçants finissent par identifier l'agresseur présumé. Les enquêteurs
parviennent même à suivre le suspect. Ils comprennent alors qu'il
s'agit d'un membre du Conseil supérieur de la magistrature, l'instance
de contrôle qui vient par exemple de rendre un avis sur le cas François Fillon et dont les locaux sont situés à 100 mètres de la station Chaussée-d'Antin.
Après l'identification visuelle, l'exploitation de la téléphonie a levé les derniers doutes. « Il ne s'agissait pas d'un sosie car son téléphone bornait aux lieux et horaires des quatre agressions sexuelles », reprend cette même source.
Le 18 mai, cet homme marié est placé en garde à vue mais nie les faits. Sa présence avérée lors des agressions ne serait « qu'une coïncidence. » « Il a changé de version à plusieurs reprises, à mesure que de nouvelles preuves lui étaient présentées », indique une source proche du dossier.
Lors de l'exploitation de son ordinateur et de son téléphone, les enquêteurs découvrent des recherches équivoques : « exhib train », « peloter » ou encore des informations collectées sur le harcèlement de rue et les sanctions pénales encourues. Des fichiers représentant des femmes dans les transports en commun et sur la voie publique sont aussi exhumés par les enquêteurs.
C'est d'ailleurs ce dernier aspect qui a justifié un débat à l'issue de sa garde à vue afin de déterminer d'une éventuelle détention provisoire. Mais Jean Cabannes, dont le casier judiciaire était jusque-là vierge de toute condamnation, a pu ressortir. Il est placé sous contrôle judiciaire, comprenant un suivi psychologique. De leur côté, trois des quatre victimes présentent encore des « traumatismes résultant de leur agression », note une source proche du dossier.
Un mois après sa mise en examen, Jean Cabannes a donc présenté sa démission du CSM. « Des départs, il y en a déjà eu, mais pour une mise en examen, de mémoire jamais, répond officiellement le Conseil supérieur de la magistrature. Car dans les statuts figurent un certain nombre de devoirs et d'exigence pour les membres comme l'intégrité, la dignité et l'impartialité. »
Jusqu'à début novembre, la photo de Jean Cabannes figurait encore dans le trombinoscope du site du Conseil supérieur de la magistrature. Elle a désormais été supprimée.
Issu d'une grande famille de juristes, puisque son père — portant le même nom et prénom (qui s'est éteint cet été à 95 ans) — était membre du Conseil constitutionnel, Jean Cabannes « estime qu'il paye le fait d'être un personnage connu, car l'institution judiciaire ne veut pas apparaître comme clémente à son égard, rapporte Me Olivier Baratelli, son avocat. Mon client est outré et choqué par ces accusations qu'il vit comme une infamie. Il nie farouchement tous les faits qui lui sont reprochés. D'ailleurs, sur les photos, les jeunes filles ne l'ont pas toutes reconnu. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Ici, les commentaires sont libres.
Libres ne veut pas dire insultants, injurieux, diffamatoires.
À chacun de s’appliquer cette règle qui fera la richesse et l’intérêt de nos débats.
Les commentaires injurieux seront supprimés par le modérateur.
Merci d’avance.