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Des "invisibles" se mettent en marche dans plusieurs villes de France pour rejoindre Paris, porter leurs revendications et "faire boule de neige".
Ils n'ont jamais été aussi nombreux et restent pourtant "invisibles" : une marche de chômeurs s'élance lundi à travers la France, avec l'espoir de "faire boule de neige". Mais dans un contexte de précarité grandissante, mobiliser et être entendu sont plus difficiles que jamais, expliquent associations et experts. Plusieurs dizaines de demandeurs d'emploi prennent la route depuis Montpellier (Hérault) et Haguenau (Bas-Rhin), pour une arrivée prévue le 6 juillet à Paris, avec le souvenir de la mobilisation de l'hiver 1997-1998.
Participer à la conférence sociale
Outre les revendications d'urgence (création d'un fonds social d'urgence, arrêt des radiations à Pôle emploi...), les associations de chômeurs (MNCP, Apeis, AC!), soutenues par deux syndicats de Pôle emploi et Attac, contestent le refus du gouvernement de les associer à la conférence sociale qui se tient jeudi et vendredi. Alors que les listes de Pôle emploi n'ont jamais été aussi longues (3,26 millions de chômeurs sans activité en avril), les chômeurs entendent aussi "donner de la voix" avant la négociation qui définira à l'automne de nouvelles règles, probablement plus dures, pour l'assurance chômage.
"L'idéal serait un effet boule de neige, comme en 1997, avec des milliers de personnes dans la rue, mais on ne se fait pas de film. La situation est pourtant pire qu'à l'époque, avec 90 000 chômeurs qui arrivent en fin de droits chaque mois et des droits sociaux moins protecteurs",
estime Malika Zédiri, militante à l'Apeis depuis 1987. Pour Alain Marcu, d'AC!, "les chômeurs sont noyés dans les difficultés du quotidien, en situation d'apathie, ils restent dans leur coin et sont invisibles". "Avoir faim, ne pas pouvoir payer les factures, ça empêche de se lever pour marcher", selon lui.
Le psychiatre Michel Debout explique que "la perte d'un emploi provoque le plus souvent un effet de sidération qui entraîne un repli sur soi, social et psychologique, et vient faire le lit d'un sentiment de culpabilité et de honte". Second type de réaction, une "révolte impuissante, contre l'ordre du monde ou contre soi, comme le montre le cas du demandeur d'emploi qui s'est immolé à Nantes" en février, souligne l'expert.
"Pas le nombre, mais le symbole"
L'action collective des chômeurs est structurellement faible, notamment car il est difficile de se définir comme chômeur, un statut qui bénéficie d'une image dévalorisante. La question qui se pose est aussi revendiquer auprès de qui ? Les employeurs, l'État, l'Unédic, Pôle emploi ?", analyse de son côté le sociologue Didier Demazière. "Pour cette marche, ce qui est important n'est pas le nombre, mais le symbole. Certes, il y avait à la fin des années 1990 une dynamique associative qui n'existe plus aujourd'hui, mais on part d'une situation qui est pire - ce suicide de Nantes -, il n'est pas impossible qu'il se passe quelque chose de grande amplitude", juge-t-il.
L'enjeu, pour les associations, est aussi d'asseoir leur légitimité pour devenir des interlocuteurs officiels, car les chômeurs ne se sentent ni représentés ni défendus par les organisations syndicales. "On a une légitimité, on est consultés par les commissions parlementaires, l'Unédic et même le Medef de façon informelle, mais cela ne se traduit pas au niveau des pouvoirs publics. Sapin comme Ayrault refusent de nous recevoir, alors que Hollande avait écrit au MNCP pendant sa campagne comme à un interlocuteur légitime", dénonce Robert Crémieux.
Selon l'ancien président du MNCP, première association avec 6 000 adhérents et plus de 100 000 personnes accueillies chaque année dans ses permanences, "le soutien de deux syndicats de Pôle emploi change la donne et renforce un mouvement de chômeurs qui se reconstruit après une longue traversée du désert".
Pour le sociologue Didier Demazière, "le gouvernement n'a pas les mains libres, car les syndicats sont globalement hostiles à ce que les chômeurs deviennent une composante supplémentaire du dialogue social". La porte pourrait-elle s'ouvrir à Pôle emploi ? Un récent rapport parlementaire préconise l'entrée des associations de chômeurs dans le conseil d'administration de l'opérateur public .
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