Ça s’est passé comme ça.
Dans les années 60, on les voyait arriver le dimanche après-midi, au volant de l’Aronde, de la 404 ou de la Simca 1000, entre l’heure de la sieste et celle du goûter.
Amis de quelques soi-disant amis ou lointains apparentés, ils venaient de la ville où ils étaient partis travailler à cause du collège, à cause du lycée, des bibliothèques, des théâtres, des banques, des commerces de proximité, du supermarché, de l’usine et peut-être même, comme dans la chanson de Ferrat, à cause du formica et du ciné.
Au début, ils ne demandaient rien, ils ne disaient pas grand-chose. Et comme les gens d’ici ne leur trouvaient pas bon teint, ils repartaient toujours avec quelques légumes, un poulet, une douzaine d’œufs, un morceau de jambon, un panier de fruits, une bouteille de lait, une bonbonne de vin, un lapin, un peu de gibier.
Ensuite, ils sont revenus de plus en plus souvent et, un jour, ils ont demandé “si on ne savait pas quelque chose à vendre dans le coin”. Alors, la grand-mère posa son ouvrage sur la toile cirée et le grand-père passa sa main entre le front et le béret. “Il y aurait bien le vieux presbytère et peut-être la grange du Dédé. Seulement voilà, y’a de quoi faire, à l’étage, on passe à travers le plancher…”
Un an plus tard, tout était racheté et retapé. Dans la foulée, les voisins des “amis des amis” venus de Lyon, de Montpellier, de Bordeaux, de Marseille, de Lille ou de Paris, mais aussi les “apparentés des apparentés” finirent par rappliquer pour acheter tout ce qui pouvait l’être et récupérer tout ce qui trainait de l’étable au cellier, de la grange au grenier.
Au début, ils ne demandaient rien, ils ne disaient pas grand-chose. Et comme les gens d’ici ne leur trouvaient pas bon teint, ils repartaient toujours avec quelques légumes, un poulet, une douzaine d’œufs, un morceau de jambon, un panier de fruits, une bouteille de lait, une bonbonne de vin, un lapin, un peu de gibier.
Ensuite, ils sont revenus de plus en plus souvent et, un jour, ils ont demandé “si on ne savait pas quelque chose à vendre dans le coin”. Alors, la grand-mère posa son ouvrage sur la toile cirée et le grand-père passa sa main entre le front et le béret. “Il y aurait bien le vieux presbytère et peut-être la grange du Dédé. Seulement voilà, y’a de quoi faire, à l’étage, on passe à travers le plancher…”
Un an plus tard, tout était racheté et retapé. Dans la foulée, les voisins des “amis des amis” venus de Lyon, de Montpellier, de Bordeaux, de Marseille, de Lille ou de Paris, mais aussi les “apparentés des apparentés” finirent par rappliquer pour acheter tout ce qui pouvait l’être et récupérer tout ce qui trainait de l’étable au cellier, de la grange au grenier.
Et puis les années ont passé. Ils ont pris quelques responsabilités et ont créé des associations pour mieux vivre ici. Ceux qui pensaient être arrivés étant bien déterminés à “éduquer” ceux qui n’étaient jamais partis. Enfin, car les paysans n’avaient plus le temps de s’en occuper, à cause notamment des contraintes administratives que les gens de la ville leur imposaient, ils ont fini par prendre la mairie. La boucle était donc bouclée.
Ce métier qu’ils n’ont jamais pratiqué
Et ce qui paraissait inimaginable trente ans plus tôt venait d’arriver ; le paysan, toujours prêt à rendre service, à renseigner, à laisser poser la caravane dans le pré d’à côté, à prêter la remorque pour débarrasser, à passer un coup de motoculteur dans le potager, à tronçonner l’arbre qui menace de tomber, venait de perdre la main là où les emmerdements allaient véritablement commencer. Là où la mouche n’avait plus intérêt à vibrionner sous les fenêtres et dans la cuisine de l’habitant nouvellet, là où la bouse ne devait plus tomber au milieu de la chaussée, là où le coq n’avait pas intérêt à pousser sa chansonnette dès potron-minet, là où l’agriculteur ne pourrait plus sortir son tracteur à l’heure du déjeuner, là où la cloche allait être proscrite dans toute la vallée, là où ce qui faisait le quotidien des gens d’ici allait être contrôlé, attaqué, jugé, interdit !
Interdit comme les tracteurs de cet agriculteur dans le Midi, récemment condamné à verser une astreinte de 105 000 euros à ses voisins propriétaires de gîtes de luxe indisposés par la “pollution visuelle”. Ou cet autre éleveur dans le Nord qui doit payer 106 000 euros de dommages et intérêts à des riverains gênés par les meuglements, l’odeur et le bruit. Sans oublier, encore au cours de cette semaine, un agriculteur passé à tabac du côté de Valenciennes, nez et pommette cassé, hématome au cerveau, causés par un coup de poing américain, car le paysan, coincé avec sa benne au milieu du chemin, ne pouvait pas reculer.
Florilège hebdomadaire permettant d’illustrer ce que nos campagnes sont devenues avec, pour compléter l’actu, quelques enfants gâtés, moulés à la louche d’une écologie punitive, qui se permettent de tout péter en bandes organisées pour sauver la planète et le contenu de ces assiettes qu’ils finiront par vider à force de saccager ce qui permet de nous avitailler.
Alors, bien sûr, certains diront qu’il ne faut pas généraliser. Et pourtant, oui pourtant, ceux qui ont soi-disant voulu revitaliser le pays, le faire bouger, l’émanciper, le sauver de l’âge sombre, l’extraire de cette pierre et de cette terre où il était, depuis la nuit des temps, attaché, n’ont fait que précipiter le déclin du paysan, de son environnement, de son quotidien, de sa liberté.
Ils sont, à ce titre, nombreux, de l’élu local qui barbota soi-disant dans quelques universités jusqu’à la présentatrice de téléréalité, à se croire, moyennant quelques publications et autres confortables indemnités, qualifiés pour parler d’agriculture et d’un métier qu’ils n’ont jamais pratiqué. Cette usurpation dévoyée, car idéalisée depuis les villes ou bricolée par ceux qui ont eu les moyens de la quitter, est devenue indécente. Synonyme d’imposture, elle se répand insidieusement dans nos campagnes où l’agriculteur, désormais stigmatisé par les enfants de ceux qui repartaient avec le lapin, la bouteille de lait, les fruits, les légumes, les œufs, la bonbonne de vin, le poulet… n’est plus que l’ombre de lui-même.
Ces campagnes où, il n’y a pas si longtemps encore, l’on voyait arriver des gens qui n’avaient pas vraiment bonne mine au volant de l’Aronde, de la 404 et de la Simca 1000, entre l’heure de la sieste et celle du goûter… Parce que l’air des champs et des prés était plus respirable que celui des cités. Parce que dans leurs embouteillages, dans leurs métros et leurs bureaux climatisés, ils étaient bien incapables (et ils le sont encore) de remplir leurs frigos et leurs garde-manger !
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