Monsieur le Ministre,
vous serez donc le 6 mai prochain dans les Pyrénées-Orientales pour soutenir les agriculteurs de ce département sévèrement impactés par la sécheresse.
En prenant connaissance de vos récents échanges internationaux, je me suis demandé si vous avez également eu une pensée pour eux lorsque vous avez rencontré, le 27 avril dernier, votre homologue espagnol. Vous avez twitté à ce propos : « Je salue la grande qualité des relations qui unissent la France et l’Espagne et plus particulièrement la France et l’Espagne agricoles. » Vous dites : « Avoir travaillé ensemble sur vos priorités communes : la progression des technologies pouvant concourir à rendre nos agricultures plus performantes et résilientes. »
Concernant l’Espagne, n’ayez aucune inquiétude Monsieur le ministre, ce pays a pu, grâce au soutien de l’Europe et à la complaisance des Etats membres, dont la France, mais aussi grâce aux distorsions de concurrences, assurer sa résilience et développer ses performances. Lors de votre futur déplacement, si vous avez un moment, rendez vous sur l’autoroute et comptez, à ce propos, les camions qui transitent par la frontière en une seule journée. Ils sont, bien sûr, principalement chargés de fruits et légumes en provenance de la péninsule ibérique, mais aussi du Maghreb. Vous en dénombrerez environ 20 000 contre 5 000 il y a seulement 25 ans. Un quart de siècle pendant lequel cette agriculture roussillonnaise que vous venez soutenir a perdu plus des deux tiers de son potentiel. Pour rappel, ces quelques chiffres : le secteur arboricole est passé de presque 13 000 ha a environ 4000, quand les maraîchers produisaient 250 millions de pieds de salade ils n’en produisent plus que 35 millions, de 50 000 hectares de vigne la filière est tombée à 23 000 … Et ainsi de suite, avec des secteurs d’activité qui, vous le comprendrez aisément, ont, de facto, beaucoup moins besoin d’irriguer…
Nonobstant ces petits décomptes et les friches qu’elles ont suscité, abordons à présent le sujet qui justifie votre déplacement : l’eau.
Et bien figurez-vous, Monsieur Marc Fesneau, que si sa raréfaction ne fait aucun doute depuis plus d’une année, elle aurait pu être considérablement limitée si, au lieu d’être prudemment stockée, elle n’avait pas été lâchée dans la rivière pour finir dans la mer Méditerranée. Oui, Monsieur le ministre, si le Conseil départemental, gestionnaire du barrage de Vinça, sur ordre de l’Etat que vous représentez et consécutivement aux injonctions des lobbies écologistes, n’avait pas été contraint de libérer 2000 litres/secondes cet hiver dans le Tèt, cette retenue pouvant contenir 24 millions de mètres cubes serait quasiment pleine et celle des Bouillouses en amont (17 millions) n’aurait pas eu à être vidée dans les proportions que nous connaissons.
Entre privilégier les lubies environnementalistes et le devenir de notre agriculture, la question est donc désormais clairement posée. En d’autres termes, l’Etat français doit-il continuer à entendre les doléances de Marine Tondelier et d’Hugo Clément ? Ou bien doit-il, sans trembler dès qu’adviennent les suffrages printaniers, trancher une bonne fois pour toutes en faveur de nos paysans ? Ces paysans qui irriguent pour produire ce qui sert à nous nourrir. Une notion qu’il faut tout de même rappeler de temps en temps, car elle échappe bien souvent aux priorités de nos petites sociétés.Vous allez donc apporter dans les P-O, votre soutien au préfet Rodrigue Furcy qui, il faut le reconnaître, après avoir été confronté aux injonctions juridiques de France Nature environnement, essaye d’évoluer sur le terrain de l’apaisement. Combien de temps durera ce jeu du chat et de la souris entre le représentant de l’État et les tenants de l’écologie ? Et quels arbitrages seront mis en place entre le tourisme et l’agriculture ? L’avenir nous le dira certainement en attendant la pluie. Car c’est, au-delà des gesticulations anxyogènes, quelles soient médiatiques ou politiciennes, la pluie qui viendra bien sûr, in finé, régler le problème.
Reste enfin à savoir ce que vous allez annoncer aux arboriculteurs, aux viticulteurs, aux éleveurs, aux maraîchers. Rompus aux promesses non tenues, aux conditions d’attributions inapplicables et inappliquées, aux aménagements bancaires et sociaux qui ne font que reporter (et aggraver) sine die les difficultés, les agriculteurs auront-ils encore la force de vous croire et de vous écouter. Le « milliard » de Jean Castex et, sur un autre terrain, son plaidoyer pour un train des primeurs chargé de marchandises importées pouvant, à ce titre, être évoqué au chapitre des actes manqués. Ou bien les agriculteurs exerçant leurs métiers de côté-ci des Pyrénées devront ils se resigner à s’incliner devant des choix politiques et géopolitiques, en acceptant ad vitam aeternam le dogme des débits réservés ? Et en regardant passer ces camions qui font que « avec l’Espagne agricole, l’Etat français entretient des relations de grande qualité ».
Bien respectueusement
Jean-Paul Pelras
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