En 2017, Bris Rocher, PDG du groupe Rocher (Yves Rocher, Petit Bateau, Docteur Pierre Ricaud, Stanhome, Sabon, Flormar, Arbonne, Kiotis Paris, ID Parfums), pouvait déclarer :
« Aujourd’hui, les marques leaders sont bousculées, prime à la nouveauté, et aux marques qui offrent une expérience spécifique à travers les produits, ou encore les lieux d’achat, que ce soit physique ou digital. Pour se différencier et réussir, l’enjeu est désormais de créer plus d’émotion et d’expérience shopping. Nous sommes dans une période de tempête. Mais quand le vent souffle, les arbres qui ont des racines solides font mieux que résister… Ils se renforcent » (Les Echos, 22 décembre 2017).
L’année suivante, il se félicitait qu’en 2012, sa famille avait pris le contrôle à 100 % de l’entreprise : « Le groupe Rocher n’est pas coté. Je ne dois pas délivrer le meilleur résultat sur l’année. Je recherche le meilleur équilibre entre la performance annuelle et les investissements de long terme. » (Le Figaro Economie, mercredi 28 novembre 2018). Mais il ne croyait pas si bien dire en soulignant : « La révolution technologique ne fait que commencer. On a un monde à réinventer » (Le Télégramme, vendredi 12 octobre 2018). Ce qui ne l’empêche pas de se souvenir que la nature se trouve à la base de son entreprise ; c’est pourquoi l’entreprise de cosmétiques à base de plantes devient une « entreprise à missions » en 2019 : « Notre but n’est pas d’être la meilleure entreprise du monde, mais la meilleure entreprise pour le monde. Il faut absolument réintégrer la nature dans notre vie » (Ouest-France, mardi 10 décembre 2019)
Par conséquent, en apparence, tout va bien, jusqu’à ce que Bris Rocher soit amené à exposer les conséquences du Covid : « La reprise post-confinement est meilleure que ce que j’avais anticipé. Pour autant, le groupe, pour la première fois de son histoire, va perdre de l’argent cette année, en résultat net [67 millions d’euros]. Alors que je n’ai pas payé les loyers des deux mois de fermeture et que l’on a bénéficié du chômage partiel. Quand il n’y a pas d’activité, il reste des frais fixes à assumer. On n’a aucune visibilité pour les mois à venir. » (Ouest-France, mercredi 9 septembre 2020). L’alerte est donc donnée.
Lors du comité social et économique central (CSEC) d’octobre 2022, la direction reconnaît une « sous-performance » depuis 2020 et une « rentabilité historiquement faible, qui l’expose aux turbulences ». Les priorités sont claires : « Gagner des libertés en nous dégageant des marges de manœuvre puis investir dans de nouveaux relais de croissance ». Comme il y a 2 000 salariés en Bretagne, hors intérimaires, les « marges de manœuvre » sont à rechercher du côté des trois sites de production (La Gacilly, Ploërmel, Rieux) dans lesquels on déplore « des coûts fixes trop élevés mettant à mal notre compétitivité » (Ouest-France, jeudi 13 octobre 2022). On remarquera qu’il n’est pas question du site de Rennes (près de la gare SNCF) composé essentiellement de cadres…L’usine de Ploërmel est condamnée
Simultanément, une démarche GEPP (Gestion des emplois et des parcours professionnels) est engagée. « Dans le viseur, en particulier le site de Ploërmel (fabrication de parfums), où la pyramide des âges est la plus vieillissante avec plus de 50 % des 108 salariés en CDI âgés de plus de 56 ans. » (Ouest-France, Ploërmel, jeudi 10 novembre 2022). Parmi les réactions, on trouve évidemment celle de Paul Molac (régionaliste), le député de la circonscription : « Ce ne sera pas des pertes sèches mais des emplois en moins. Il s’agira de non-remplacements de départs à la retraite ou des gens qui souhaitent partir plus tôt. Tant que les emplois restent sur la zone et que les salariés ne sont pas des variables d’ajustement. Cependant, je suis inquiet car je connais les difficultés économiques du groupe, mais je sais qu’il y aura des solutions possibles » (Ouest-France, Morbihan, vendredi 14 octobre 2022). Effectivement, la situation est préoccupante depuis la fin de l’épidémie de Covid : « Depuis, Yves Rocher a perdu 25 % de ses volumes. La rentabilité globale, qui n’atteignait déjà pas des niveaux très élevés par le passé, a chuté. La direction n’entrevoit pas de signe de redressement durable », explique une source interne (Le Télégramme, samedi 15 octobre 2022).
Trop de papier et pas assez de numériqueDébut février, les choses sont claires. D’une part le groupe a décidé d’engager une démarche GEPP (Gestion des emplois et des parcours professionnels) avec les organisations syndicales majoritaires (CFTC et CFE-CGC) – un projet qui aboutirait à la suppression de trois cents postes en trois ans, essentiellement en Bretagne. De l’autre la fermeture de l’usine de Ploërmel pourrait survenir à la fin 2025 (108 salariés en CDI). « Si les volumes de production restaient dans la tendance des trois dernières années, l’arrêt de l’activité de Ploërmel pourrait être un scénario possible à l’horizon 2025 », indique un communiqué la direction du groupe (Ouest-France, Ploërmel, mercredi 1er février 2023).
Quelques chiffres résument la situation. Chiffre d’affaires du groupe Rocher : 2,75 milliards d’euros en 2019 ; 2,57 milliards en 2020 ; 2,39 en 2021. Nombre de produits vendus chaque année par l’ensemble du groupe : 700 millions en 2019 ; 590 millions en 2020 ; 529 millions en 2021. Les causes sont multiples : vieillissement de la clientèle, énergie et budget dépensés pour maintenir la VPC sous perfusion (Yves Rocher réalise encore près de 11 % de ses ventes via ce canal, soit près de 250 millions de chiffre d’affaires), investissements insuffisants dans le numérique (ils ne peuvent pas être au niveau de ceux des pure players du Web), le Covid (coût : 26 millions d’euros), fermeture des 92 boutiques d’Ukraine… Le positionnement d’Yves Rocher n’apparaît pas satisfaisant, car ce « n’est ni une marque low-cost ni une offre premium, elle appartient à ce ventre mou qui souffre dans tous les secteurs notamment l’habillement. A vouloir parler à tout le monde, elle peine à séduire les jeunes filles face au style cool de Nyx, Kiko ou Primark, et à convaincre les femmes, attirées par le chic de l’Occitane ou la promesse pharmaceutique de Nuxe. Le côté « dadame » et un peu ringard d’Yves Rocher est un de ses points faibles depuis longtemps, mais il va de pair avec son côté antiparisien et pas snob », analyse une ancienne responsable marketing. Plus embêtant, la marque s’est laissé distancer par une flopée de jeunes pousses bio ou véganes, qui ont fait de la beauté naturelle leur étendard et dont les packs neutres ont démodé les produits made in La Gacilly. » (Capital, février 2023). On peut citer le cas de Lessonia, entreprise créée en 2002 et installée à Saint-Thonan, qui est devenue un acteur majeur de la fabrication de produits cosmétiques naturels ; elle emploie 230 salariés et réalise plus de 60 % de son chiffre d’affaires à l’exportation (Le Télégramme Economie, jeudi 5 janvier 2023).
L’internationalisation ne donne pas les résultats escomptés. Plusieurs échecs : le Royaume uni, la Chine, Arbonne aux USA (diminution du chiffre d’affaires d’un tiers en 2021)… Il reste la Russie, le deuxième marché en termes de chiffre d’affaires. La Russie, c’est 450 magasins, un entrepôt de 12 500 m2 à côté de Moscou, capable de livrer les magasins et les clients de l’e-commerce à raison de 6 000 commandes par jour ; les syndicats estiment que Yves Rocher réalise 15 % de son chiffre d’affaires en Russie (Capital, février 2023).
Bernard Morvan
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