Dimanche dernier, nous écrivions que « Bayrou n’en fait déjà qu’à sa tête » en recevant Marine Le Pen et Jordan Bardella, quelques jours à peine après sa nomination rocambolesque à la tête du gouvernement.
Comme on pouvait l’imaginer, il ne fallait pas s’attendre à ce que cette rencontre entre les patrons de « l’extrême droite » et le pape de « l’extrême centre » renverse la table. « Je suis trop expérimentée - j’allais dire trop vieille - en politique pour être rassurée par une conversation, Je suis rassurée par des actes », a d’ailleurs déclaré la présidente du groupe RN à l’Assemblée, sur le perron de l’hôtel de Matignon. Après cette entrevue, la polémique sur la présence de Bayrou à Pau pour présider le conseil municipal et ses déclarations poussives, filandreuses et, pour tout dire, décevantes devant les députés, on ne peut pas dire que le nouveau Premier ministre ait fait pour l’instant des étincelles. Il est vrai que sa marge de manœuvre est des plus étroites, au point qu’on en est déjà à parier sur sa capacité à tenir plus longtemps que Barnier sur le cheval dans ce rodéo infernal.
Pour l’instant, « ça passe pas » !
Alors Bayrou fait du Bayrou. Objectif : tenter de trouver la martingale afin d’accoucher d’un nouveau gouvernement. Pour l’instant, « ça passe pas », comme disait la caissière des Inconnus. D’où cette invitation envoyée par lettre publique aux présidents des assemblées et aux « présidents de partis et de groupes qui ont eu la responsabilité des affaires du pays à une période ou à une autre de la Ve République » à venir le rencontrer à Matignon, ce jeudi 19 décembre. Magnifique périphrase pour dire que cette invitation concerne tous les partis représentés au Parlement sauf le RN et LFI ! Sans vouloir pinailler, on pourrait souligner l’ambiguïté de la formulation : la proposition « qui ont eu la responsabilité… » est-elle relative aux présidents ou aux partis et groupes ? L’agrégé de lettres classiques qu’est Bayrou ne peut pas ne pas avoir vu cela. Dans la seconde hypothèse, il n’aurait pas été totalement incongru, tout du moins grammaticalement, d’inviter Jean-Luc Mélenchon, même s’il n’est pas président de LFI (il n’y a pas de président mais un « coordinateur » en la personne du délicieux Manuel Bompard). Et pourquoi pas Éric Ciotti, président de l’UDR, puisque Bayrou n'hésite pas à en appeler à toute l’histoire de la Ve ?
Mais le député des Alpes-Maritimes a réagi avec ironie à cette non-invitation qui prend des allures de syndic de faillite, pas tant de Bayrou ni du règne de Macron, mais des cinquante dernières années et d'une Ve République à bout de souffle : « Le cartel de l’immobilisme est en marche et rien ne l’arrêtera. La coalition des contraires autour de François Bayrou se débat pour des prébendes et des postes sans aucune majorité possible. Pendant ce temps-là, la France et les Français, ils s’en moquent… »Le retour de la IVe République
Marine Le Pen, elle aussi, a posté sa réaction : « Monsieur Bayrou aurait dû inviter les partis politiques qui ont eu des responsabilités au cours de la Quatrième République, plutôt. Au moins, ils auraient eu un sujet de conversation ! » D’ailleurs, on notera que le Parti radical de gauche, rescapé miraculeux des IIIe et IVe Républiques, a été invité (et s'est rendu) à cette invitation matignonesque. Soulignons, au passage, que le président du PRG, Guillaume Lacroix, a été tête d’une certaine liste « Europe, Territoires, Écologie » aux dernières élections européennes, liste sur laquelle se portèrent pas moins de 63.482 électeurs, soit… 0,42 % des suffrages exprimés. Tout est contenu là.
Monsieur Bayrou aurait dû inviter les partis politiques qui ont eu des responsabilités au cours de la Quatrième République plutôt. Au moins, ils auraient eu un sujet de conversation ! pic.twitter.com/MFqfODOpzu
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) December 18, 2024
L'idée géniale de Bayrou serait donc de constituer un gouvernement avec trois tiers : un tiers de ministres issus de la gauche, un tiers du centre, un tiers de la droite. C'est la recette du Picon-citron-curaçao de César dans Marius avec des tiers inégaux, comme chacun sait. On sait aussi qu'à la fin, il faut ajouter un quatrième tiers : l'eau pour diluer tout ça. Et donc, ces consultations de jeudi ? François Bayrou aurait proposé - autre idée géniale à laquelle personne n'avait pensé - aux chefs de partis et de groupes d'entrer au gouvernement. Top ! Encore un petit effort et la IVe République sera de retour. Avec, en prime, Macron. À tout prendre, on préférerait Vincent Auriol ou René Coty. Un gouvernement avant la Noël ? Peut-être, mais tiendra-t-il jusqu'à la Chandeleur ?
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