L’indignation s’étend dans la profession. Après la grève illimitée, votée ce vendredi 22 mars par les journalistes du quotidien régional La Provence, c’est au tour de leurs confrères de La Tribune, autre propriété du milliardaire franco-libanais Rodolphe Saadé, de désembrayer. Les élus syndicaux des médias d’Altice – en passe d’être rachetés par le même Saadé – ont publié un communiqué pour afficher leur soutien au mouvement. Ils appellent à « un rassemblement symbolique […] ce lundi à 10 heures pour défendre la liberté d’informer ». En cause, la mise à pied du directeur de la rédaction de La Provence, Aurélien Viers.
Après la grève à La Provence, ça gronde dans les médias que vient tout juste de racheter Rodolphe Saadé ! pic.twitter.com/Vg4pen3iWT
— Benoît Daragon (@bendarag) March 22, 2024
Une « Une » qui ne passe pas
Cette sanction prise par la direction du journal fait suite au mécontentement quant à une « une » jugée trop anti-Macron, après la visite éclair du chef de l’État, le 19 mars, dans le quartier de la Castellane à Marseille, pour une opération de communication sur la lutte antidrogue. « Il est parti et nous, on est toujours là… », pouvait-on lire en première page du journal. Une couverture dont se seraient émus certains lecteurs, selon le directeur général du quotidien qui a publié un mot d’excuse dans l’édition de vendredi : « La citation en une et la photo d’illustration qui l’accompagnait ont pu laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue décidés à narguer l’autorité publique, ce qui ne reflète en rien les valeurs et la ligne éditoriale de votre journal. Nous avons induit en erreur nos lecteurs et La Provence leur présente ses plus profondes excuses. »
Après la visite d'@EmmanuelMacron à Marseille, le journal local publie cette Une :
— Verlaine (@__Verlaine__) March 22, 2024
«Il est parti et nous, on est toujours là»
Le directeur de la rédaction de @laprovence a été mis à pied pour ce truisme.
Le journal appartient à l'ami de Macron qui doit racheter BFM...
Ça promet ! pic.twitter.com/tc3K0Yaui9
Les dirigeants ne se sont pas arrêtés à ce rectificatif, puisqu’a été annoncée dans la foulée la « mise en retrait
» de Aurélien Viers pour une semaine, dans l’attente d’un entretien
préalable à un licenciement qui devrait se tenir vendredi prochain.
La défiance de la rédaction
Après avoir été réunie en assemblée générale, ce vendredi 22 mars, la rédaction de La Provence
a voté à une très grande majorité (79 %) la motion de défiance proposée
par l'intersyndicale SNJ, CFE CGC et CFDT envers la direction générale
de La Provence. « À l’heure où la CMA CGM entend construire un pôle média d’envergure nationale, cette "affaire" laisse augurer le pire », écrit la rédaction de La Provence.
Surtout, les journalistes s’interrogent sur l’origine des plaintes
qu’aurait reçues le journal à la suite de sa une polémique. « Qui sont ces lecteurs offusqués par cette une ? […] De
son côté, la rédaction n’a eu strictement aucun retour : ni sur le
formulaire en ligne, ni par téléphone, ni sur les réseaux, hormis
quelques élus locaux et représentants politiques de la majorité
présidentielle. »
Il se trouve, en effet, qu’un certain Christophe Madrolle, conseiller
régional proche de la Macronie, a vivement critiqué la une en question,
la qualifiant de « bras d’honneur à la République ». L’élu aurait été jusqu’à signaler cette couverture au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et, selon Le Monde, en aurait discuté par texto avec Emmanuel Macron lui-même…
L’ombre du milliardaire Rodolphe Saadé
Le courroux présidentiel est-il à l’origine de la mise à pied du directeur de la rédaction de La Provence ? Pour beaucoup, l’intervention de Rodolphe Saadé, propriétaire du groupe de presse et réputé proche de Macron, ne fait aucun doute. « Le 19 mars, interrogé sur l’indépendance éditoriale par les élus du CSE d’Altice Media – groupe qu’il compte racheter -, Rodolphe Saadé avait pourtant assuré n’être "pas interventionniste sur la ligne éditoriale", dénoncent les employés du groupe Altice. Cet engagement aura duré à peine 48 heures. » De son côté, Gabriel d'Harcourt, directeur de la publication du quotidien, réfute toute pression politique.
En tout cas, sans aller jusqu’à tirer des conclusions définitives, on peut tout de même s’étonner de voir de telles pratiques managériales avoir cours au moment précis où se tiennent les États généraux de l’information. Promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, ce grand chantier avait notamment pour objet de « protéger l’information libre face aux ingérences »… Il y a, manifestement, encore du boulot.
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