Le très sérieux Corriere della Sera, quotidien milanais de centre droite, vient d’évoquer, il y a quelques jours, les conséquences désastreuses pour la défense italienne de la guerre en Ukraine.
Mais de quoi s’agit-il donc ? Suite aux nombreuses livraisons de munitions, en particulier d’obus d’artillerie, qu’a faites l’Italie à l’Ukraine, dans le cadre du soutien promis par les Européens au président Zelensky, l’Italie s’est vue refuser par les Américains des commandes de munitions nécessaires à ses propres réserves nationales.
Certes, l’Italie, depuis sa libération en 1943, dépend beaucoup de ses nouveaux alliés américains pour la reconstitution de ses forces armées ainsi que pour son insertion dans la défense atlantique à partir de 1949. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le poste de commandement de la 6e Flotte américaine se trouve à Naples et non pas à Athènes ou à Barcelone. Son amiral 4 étoiles OTAN[1] a d’ailleurs la double fonction de commandant de cette 6e Flotte et du poste de commandement opératif de l’Alliance atlantique en Méditerranée. Il est aussi le « proconsul » du président américain non seulement en Italie mais partout en Méditerranée occidentale et orientale. Outre des bases navales et aériennes, les Américains ont installé dans la péninsule toute une chaîne de capteurs et de radars pouvant prévenir toute attaque sur l’Europe venant du Moyen-Orient ou d’Afrique.
L’Italie, partenaire stratégique incontournable des États-Unis d’Amérique, se retrouve donc humiliée car devant « attendre son tour », selon le quotidien italien, avant de voir ses stocks complétés par ses alliés américains. L’Italie, comme d’autres pays européens, a démantelé nombre de ses usines de munitions, d’obus et de pièces détachées des armements. Ainsi, le fait qu’elle se soit séparée de certains de ses armements ou munitions pour soutenir l’effort de guerre ukrainien la rend aujourd’hui particulièrement vulnérable. Elle serait bien incapable de remplir une mission que pourrait lui confier l’Alliance atlantique ou l’Union européenne en cas de menace proche ou lointaine.
Politiquement, Giorgia Meloni a « joué le jeu » de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne en acceptant d’aider l’Ukraine à la hauteur de ses moyens. Par manque de chance, certains obusiers qu’elle a envoyés n’ont pu être utilisés par les Ukrainiens parce qu'ils n’étaient pas techniquement aptes au tir. C’est peut-être cela, que le gouvernement démocrate de Joe Biden cherche à lui faire payer en refusant à l’Italie, l’un de ses alliés stratégiques primordiaux en Europe, les stocks de munitions qu’elle lui demande.Actuellement, les capacités de combat de l’Italie ne seraient plus que de 48 à 72 heures en termes de stocks de munitions légères et lourdes ainsi que de missiles terrestres et aériens. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, avait pourtant souligné, le 26 avril dernier, qu’il importait de « développer des acquisitions multinationales, notamment de munitions - toujours dans le respect des normes de l’OTAN -, et d'augmenter la production de défense tout en travaillant plus étroitement avec l’industrie ». Il ajoutait qu'« il fa[llait] aussi éliminer les obstacles potentiels et réduire les vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement ». Alors, que doit faire l’Italie ? Sans doute faudra-t-il, tout comme la France, qu’elle se mette en « économie de guerre », c’est-à-dire qu’elle rapatrie toutes les chaînes de construction de munitions abandonnées depuis le milieu des années 90, et qu’elle soit moins dépendante de l’allié américain pour sa défense nationale. Néanmoins, l’Italie, encore moins que la France et dans une moindre mesure l’Allemagne, ne pourra se défaire de l’influence américaine sur sa défense nationale. La question posée par la défense italienne à ses fournisseurs états-uniens est d’autant plus pertinente qu’au cas où il surviendrait une crise grave en Extrême-Orient, ce ne serait plus les stocks des seules armées italiennes qui seraient menacés mais bien ceux de l’ensemble des pays occidentaux en Europe, et notamment les alliés historiques des États-Unis, membres fondateurs de l’Alliance atlantique.
Dans une allocution télévisée datant du 25 avril 1965, le général de Gaulle, évoquant l’aide américaine et l’intégration des pays européens dans l’Alliance atlantique, disait déjà : « Si grand que soit le verre que l'on nous tend du dehors, nous préférons boire dans le nôtre, tout en trinquant aux alentours. » Quelques mois plus tard, en février 1966, il retirait la France du haut commandement intégré de l’Alliance atlantique. C’est pour cette raison que, contrairement à l’Italie et à l’Allemagne, voire au Royaume-Uni, la France avait fait le choix de mettre sur pied des forces armées nucléaires et conventionnelles, indépendantes de leurs alliés pour la fourniture de leurs armements et de leurs munitions, tous fabriqués sur le territoire national. La guerre en Ukraine pourrait être alors l’occasion unique, pour l’Europe, de constituer enfin une industrie purement européenne, indépendante au plan logistique de ses alliés nord-américains, tout en restant interopérable, et ce, seulement si elle en a encore le temps, avant une possible (mais non souhaitable) conflagration générale.
[1]Ce qui revient à 5 étoiles françaises.
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