Nuit debout ne s’achèvera pas dans une aurore.
Nuit debout n’enfantera pas de « genre humain transfiguré » ; et la Terre tourne toujours.
Les cadavres de bouteilles, les boîtes de kebab et les rognures de haschisch s’en vont dans la benne à ordures.
Les rêves salissants sont balayés d’un geste rapide par un travailleur immigré de la Fonctionnelle – une équipe de nettoyage d’élite –, travailleur qui n’aura bien évidemment jamais mis les pieds dans cette assemblée hypocritement populaire, et qui, sans doute, n’en aura presque rien su (sauf qu’elle engendrait pour lui un fâcheux surcroît d’effort : jusqu’à 200 mètres cubes de détritus chaque matin).
 Nuit debout pour les bobos,
Matins dans l’urine pour les prolos.
Essoufflé au bout de trois mois, le Soviet-club de la République finit bêtement et dans l’indifférence générale.
 S’est-il seulement passé quelque chose sur la place de la République, durant ces longues semaines ?
Des anges sont passés et nous n’avons rien entendu.
 Des anges qui n’ont pas manqué de faire la bête à quelques reprises : Alain Finkielkraut et les Veilleurs auront pu mesurer leur sens de l’accueil et du dialogue.
Le mouvement « citoyen » laisse derrière lui, en plus de ses déchets matériels, une désagréable odeur de sectarisme et de cabale ; mais pouvait-on en attendre autre chose ?
Ni prolétaires, ni ouvriers, ni petites gens de la « classe », ni messieurs et mesdames Tout-le-Monde, les militants de Nuit debout n’ont représenté que leur propre microcosme, désespérément étranger aux préoccupations du peuple, irréductiblement fermé à tout ce qui n’est pas lui et ne pense pas comme lui.

 Noyau dur du gauchisme révolutionnaire d’aujourd’hui – c’est-à-dire, en réalité, d’une caste de petits-bourgeois culturels et de diplômés narcissiques –, la kermesse nocturne était condamnée à faire long feu.
Si les médias, sympathisants pour la plupart, n’avaient pas eu des yeux de Chimène pour ce théâtre d’ombres, la grande majorité des Français ne lui auraient accordé aucune attention.
Qui voudrait continuer à subir, le soir, cette parole creuse et dogmatique qu’il subit tous les jours, sous de multiples formes ?

Un dernier tour de piste, pour sauver l’honneur ; une dernière homélie de Frédéric Lordon, devant un auditoire clairsemé, un dernier vote inutile, un ultime appel à construire un autre monde, plus équitable et moins raciste, une dernière bière, une dernière palabre sur l’avenir de la Palestine, et puis Nuit debout s’en ira, comme passent les chimères de l’adolescence.

Nuit debout s’en ira sans laisser de traces, sans avoir même fini la première ébauche d’un Occupy Wall Street ou d’un Indignados français.

Les voitures-balais du réel emporteront jusqu’au dernier crachat de cette rébellion d’ectoplasmes.