Le capitaine Boris Prokochev et des membres d'équipage au bord du Rhosus dans le port de Beyrouth en 2014.
/Photo d'archives/REUTERS/Personal archives of Boris Musinchak
Reuters 6 août 2020 18:33 MOSCOU (Reuters) -
Les produits chimiques qui ont mardi explosé dans le port
de Beyrouth y sont arrivés il y a sept ans à bord d’un cargo russe de
location en très mauvais état qui n’aurait jamais dû accoster dans la
capitale libanaise, explique le capitaine du navire.
“Il ne cherchait qu’à faire du profit”, a déclaré Boris Prokochev, capitaine du Rhosus en 2013, à propos du propriétaire du cargo, qui lui a donné pour instruction de faire une escale imprévue au Liban pour charger des marchandises.
Le Rhosus transportait alors 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium de la Géorgie vers le Mozambique et aucun arrêt à Beyrouth n’était prévu au départ, a-t-il dit.
L’équipage a reçu l’ordre d’embarquer du matériel lourd à destination d’Aqaba, en Jordanie, avant de reprendre la route de l’Afrique, où le nitrate d’ammonium devait être livré à un fabricant d’explosifs. Mais le cargo n’a plus jamais quitté Beyrouth, à cause de l’impossibilité d’assurer un chargement sûr et d’un différend au sujet des redevances portuaires.
“C’était impossible”, a dit à Reuters Boris Prokochev, âgé aujourd’hui de 70 ans, à propos du chargement supplémentaire.
“Cela aurait pu détruire le bateau tout entier et j’ai dit non”, a-t-il déclaré par téléphone depuis son domicile à Sotchi, sur la mer Noire.
Le capitaine et les avocats de certains créanciers ont accusé le propriétaire du cargo de l’avoir abandonné et ont obtenu son immobilisation.
Plusieurs mois plus tard pour des raison de sécurité, la cargaison de nitrate d’ammonium a été déchargée dans un hangar du port, où elle a explosé mardi, faisant au moins 145 morts et 5.000 blessés.
Pour le maître d’équipage du bateau, Boris Moussintchak, le bateau aurait pu quitter Beyrouth si les engins de terrassement et de travaux publics qu’il devait y embarquer avaient pu être correctement arrimés, mais ils ont endommagé les portes des soutes.
“Le bateau était vieux et le panneau de la soute s’est tordu”, a-t-il dit au cours d’un entretien téléphonique. “Nous avons décidé de ne pas prendre de risques.”
Le capitaine et trois membres d’équipage ont ensuite dû passer 11 mois à bord du cargo en attendant que l’imbroglio juridique soit démêlé, sans être payés et avec un ravitaillement très limité.
Le nitrate d’ammonium n’a été déchargé qu’après leur départ.
UNE CARGAISON “HAUTEMENT EXPLOSIVE”
“La cargaison était hautement explosive.
C’est la raison pour laquelle elle est restée à bord pendant que nous y étions (...)
Ce nitrate d’ammonium était très concentré”, a dit Boris Prokochev.
Il a précisé que le propriétaire du cargo était un homme d’affaires russe, Igor Gretchouchkine, que Reuters n’est pas parvenu à joindre malgré plusieurs tentatives.
Le nitrate d’ammonium avait été vendu par le fabricant d’engrais géorgien Rustavi Azot et devait être livré au groupe mozambicain Fabrica de Explosivos.
Un haut responsable de ce dernier n’a pas répondu dans l’immédiat à une demande de commentaire sur LinkedIn.
Levan Bourdiladze, directeur de l’usine Rustavi Azot, a dit à Reuters que son entreprise ne gérait le site de production que depuis trois ans et qu’il n’était donc pas en mesure de confirmer que le nitrate d’ammonium en provenait.
Il a toutefois estimé que la décision de stocker le produit chimique dans le port de Beyrouth constituait “une violation grossière des mesures de sécurité de stockage étant donné que le nitrate d’ammonium perd ses propriétés utiles au bout de six mois”.
Le ministère de la Justice libanais n’a pas répondu dans l’immédiat à une demande de commentaire. Les autorités libanaises ont assigné à leur domicile tous les responsables du port de Beyrouth responsables du stockage et de la sécurité depuis 2014, selon plusieurs sources gouvernementales.
Pour Prokochev, le Rhosus était en état de naviguer en septembre 2013 malgré la présence de plusieurs brèches.
Mais il estime que les autorités libanaises n’ont pas prêté d’attention particulière au nitrate d’ammonium stocké dans les cales.
“Je suis désolé pour les gens (tués ou blessés par l’explosion). Mais ce sont les autorités locales,libanaises, qui doivent être punies. Elles ne se sont pas du tout inquiétées pour la cargaison”, a-t-il dit.
Laissé à l’abandon après son déchargement, le Rhosus a coulé dans le port de Beyrouth selon un courrier électronique adressé en mai 2018 à Prokochev par un avocat.
Avec Lisa Barrington à Dubai, Laila Bassam à Beyrouth, Maria Tsvetkova à Moscou, Victoria Waldersee à Lisbonne, Margarita Antidze à Tbilissi, Tsvetelia Tsolova à Sofia, Michele Kambas à Nicosie et Jonathan Saul à Londres; version française Marc Angrand
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