Des files de patientes, des naissances à la chaîne, des admissions ininterrompues... Mayotte n'est pas la plus grande maternité de France pour rien. | Valérie Parlan
Le 101e département français connaît une forte démographie à la suite d'une immigration clandestine massive.
Sur ce petit îlot de terre, au cœur du canal du Mozambique et de l'archipel des Comores, les sages-femmes s'échinent à veiller sur les mères d'ici et de là-bas.
Nelly met au monde son troisième enfant.
Un nourrisson potelé de 3,820kg et 52cm.
Hélène, sage-femme, et Chaher, auxiliaire-puériculture, lui souhaitent « Caribou bébé », bienvenue en shimaoré, l'une des langues locales.
Dans la salle de réanimation en face, Roukia, aide-soignante, et Rahamatou, auxiliaire-puéricultrice, prodiguent les premiers soins à deux autres petites filles nées à quelques minutes d'intervalle.
L'une des mamans a même accouché sur le parking des urgences.
Sans doute le blocage musclé du Centre hospitalier par des agents en grève limite-t-il les consultations.
« Nous accueillons beaucoup de femmes en situation d'immigration illégale. Alors, voir notre hôpital encerclé par des policiers qui protègent les lieux n'encourage pas à venir », glisse sa collègue.
D'habitude, le service montre un autre visage : des files de patientes, des naissances à la chaîne, des admissions ininterrompues.
Ce n'est pas la plus grande maternité de France pour rien : 9 514 naissances en 2016, une projection de 10 000 pour cette année et un indice de fécondité de 4,1 enfants par femme.
Ce baby-boom endémique inquiète car il est l'un des baromètres les plus palpables de l'immigration clandestine sur l'île.
En effet, depuis une dizaine d'années, les îles voisines des Comores, jadis françaises, indépendantes depuis 1975, se vident de milliers d'aspirants à une vie meilleure.
Ils rêvent d'un Eldorado français où le niveau de vie est dix fois supérieur à celui de leur pays.
Même si 84% des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté.
« Notre métier est de soigner tout un chacun sans distinction, assure le Dr Lucien Didia, chef de service. Dans un tel contexte de crise, nos équipes font un travail remarquable. Cette structure est sous-dimensionnée pour une démographie aussi forte. »
Selon l'Insee, l'archipel de 370 km2compte officiellement 212 000 habitants ; certains évoquent toutefois le nombre de 300 000 résidents.
Alors à Mamoudzou et dans les quatre autres dispensaires répartis sur l'île, la vie se donne souvent au forceps.
« Oui, ce sont de longues journées et des moments de tension, vu l'affluence. Mais nous sommes aussi remerciés au centuple par les patientes, s'enthousiasme Marion, sage-femme m'zungu (métropolitaine), en poste depuis neuf ans. Les mères sont dignes, chaleureuses et reconnaissantes. Il y a plein de belles émotions ici. »
Originaire de Niort (Deux-Sèvres), elle a débarqué après la fin de ses études pour un premier contrat, mieux rémunéré grâce à l'indexation d'outre-mer, environ 1000€ de plus.
Et aussi moins précaire que les CDD à répétition dans l'Hexagone.
« Donner la vie n'a pas de prix »
« Sur un effectif de 83 sages-femmes, 50% sont en contrat d'un an, détaille Zabibo Moen Dandze, la fidèle coordinatrice en maïeutique, en poste depuis trente-deuxans. Ce turn-over demande une réadaptation permanente car il faut former sans arrêt les équipes dans une situation de surcroît d'activité. »
Souvent, les jeunes professionnelles repartent après ce premier poste, fatiguées d'une île où le magnifique lagon bleu et les cocotiers cohabitent avec une grande pauvreté.
Et une insécurité rythmée par les cambriolages, les vols à l'arraché et les rixes entre bandes rivales. Mais Marion a choisi de s'y installer en famille. « En métropole, il y a aussi de l'insécurité, alors on apprend à vivre avec. Côté boulot, on exerce pleinement tous les gestes de notre métier, on nous fait confiance. On sent vraiment notre utilité. »
Un sens et une vocation partagés par ses consoeurs mahoraises, doublement sollicitées notamment pour traduire les échanges avec les patientes ne maîtrisant pas le français.
Hadidja, auxiliaire-puéricultrice, reconnaît : «C'est pas simple de voir tout le temps des nouvelles têtes dans le service. Les plus anciennes comprennent au moins les rudiments du shimaoré et de notre tradition, empreinte de culture musulmane et de nombreux rituels. Les patientes sont sensibles à ceux qui s'investissent. La réalité de la société est tellement triste ici... »
Dans le bureau d'admission des urgences obstétricales, Agathe, en poste depuis trois ans, raconte ce quotidien entre deux interminables dossiers à remplir : « Nous voyons encore arriver ici des femmes sans aucun suivi médical. Exemple, il y a un gros problème de diabète. Comment être bien soignée quand vous vivez sans eau ni électricité et qu'il faut mettre les doses d'insuline au frigo ? Ici, nous devons composer avec cette précarité. »
Des histoires de mères courage, de fillettes enceintes si tôt, de femmes échouées sans papiers après des traversées périlleuses en kWassa-kWassa, ces barques de pêcheurs clandestines, de familles disloquées, les professionnels en écoutent tous les jours dans le secret des examens.
« Souvent, nos larmes ne sont pas loin», avoue Roukia. Le sourire d'Agathe apaise : « Oui, mais donner la vie dans un contexte si compliqué n'a pas de prix. »
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