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mardi 17 janvier 2017

Juvisy : «La violence en bandes devrait être au cœur de la campagne présidentielle»

Le 17/01/2017
 
 
Thibault de Montbrial le 6 octobre 2016. Crédits photo: Philippe Dobrowolska

Thibault de Montbrial le 6 octobre 2016. Crédits photo: Philippe Dobrowolska

Par Vincent Tremolet de Villers
Mis à jour le 16/01/2017 à 16:51
Publié le 16/01/2017 à 16:44
 
FIGAROVOX/ENTRETIEN -
 
 Samedi soir, des jeunes ont semé la terreur dans un quartier calme de Juvisy. Pour Thibault de Montbrial, ces bandes mues par une haine de notre pays atteignent un degré de violence paroxysmique.

Spécialiste des questions de terrorisme, Thibault de Montbrial est avocat au barreau de Paris et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure. Son premier livre,Le sursaut ou le chaos, est paru en juin 2015 aux éditions Plon. Il a préfacé le livre La France djihadiste d'Alexandre Mendel, paru en avril 2016 aux éditions Ring.

FIGAROVOX. - Une bande venue d'Athis-Mons a semé la terreur samedi soir dans un quartier calme de Juvisy. Ce type de violence semble s'installer dans le pays. Est-ce le cas?
 
Thibault de MONTBRIAL. - Les violences commises en bande se multiplient sur le territoire national.
Ces phénomènes sont le plus souvent observés dans les transports.
Certains TER de la région PACA en sont ainsi régulièrement la cible, comme d'autres en Rhône-Alpes et en région parisienne.
Mais les forces de l'ordre sont les premières victimes de ces violences de groupe.
Tout le monde conserve à l'esprit la dramatique attaque de deux équipages de police survenue à Grigny le 8 octobre 2016, au cours de laquelle deux policiers avaient été grièvement brûlés.

Depuis le début 2017 et pour ne s'en tenir qu'aux seuls événements dont j'ai pu avoir connaissance, des policiers ont été victimes de violences graves et ont dû battre en retraite avec des blessés lors du tournage d'un clip de rap à Mantes-la-Jolie, après un contrôle à Bobigny, ou encore dans une banlieue de Nancy.

La tendance est donc nettement à l'accentuation de ce phénomène de «bandes».
Leur violence toujours plus désinhibée n'est guère freinée par des moyens policiers très vite submergés par le nombre.

Quant au système judiciaire, il est dépassé, d'une part du fait de la difficulté de rassembler les preuves contre les participants à ces razzias, et d'autre part, en raison de l'entrave que constitue l'ordonnance de 1945 applicable aux nombreux participants mineurs: lorsque ceux-ci sont arrêtés, leur remise en liberté assortie d'une lointaine convocation chez le juge des enfants n'a en effet pas grand-chose de dissuasif.
 
Certains des casseurs seraient rentrés dans un appartement privé pour le saccager. N'y a-t-il pas un risque d'un basculement collectif dans l'autodéfense?
 
Non seulement la propriété privée n'est pas un frein à la violence, mais elle constitue manifestement une incitation.
Comme certains des commentaires recueillis par la presse auprès de riverains de Juvisy concernés le montrent, de tels phénomènes ne peuvent sur la durée qu'inciter les résidents à envisager leur sécurité différemment.

Plutôt que le terme péjoratif d'autodéfense, je préfère l'expression légale de légitime défense, qui permet à un individu qui est soumis à une agression d'utiliser la violence pour se défendre ou défendre des tiers (famille, voisins…).
 À cet égard, il est intéressant de rappeler que le Code pénal prévoit une présomption de légitime défense spécifique pour «celui qui accompli l'acte pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence» (article 122-6-2e).

Lorsque l'irruption dans un appartement se produit la nuit, cette présomption se combine à celle prévue par le 1er alinéa de ce même article 122-6 du Code pénal, qui présume de la légitime défense de «celui qui accomplit l'acte pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité».
Il va de soi que si, dans un monde idéal, il appartient à la police et à la gendarmerie de protéger les populations, personne ne pourra sérieusement reprocher à un père de famille de défendre sa famille y compris par la violence si les forces de l'ordre n'ont pu empêcher l'agression subie, qu'elles aient été débordées ou que, trop peu nombreuses, elles soient tout simplement absentes.
 
Les politiques proclament leur refus des zones de non-droit mais ont-ils selon vous pris la mesure de cette violence endémique?
 
On sent un embarras politique autour de cette question.
Si certains ont la lucidité de reconnaître l'existence de «zones de non-droit» sur notre territoire, d'autres dans un mélange d'angélisme, de déni et d'incantation, prétendent toujours qu'elles n'existent pas.

La réalité permet de jouer sur les mots: s'il n'existe aucun endroit du territoire qui soit totalement et en permanence inaccessible aux forces de l'ordre et aux services de secours, certaines zones ne font plus l'objet que d'intrusions ponctuelles d'effectifs en nombre, pour les besoins d'une opération précise et pour une durée limitée.
Mais en pratique, les forces de l'ordre n'y sont plus présentes au quotidien, état d'urgence ou pas.

D'une façon générale, les hiérarchies préfectorales et policières n'hésitent plus à décourager, voire à interdire verbalement aux équipages de sécurité publique de se rendre dans tel ou tel quartier, sous le prétexte édifiant de ne pas «provoquer».
La même logique conduit à stationner les unités de CRS ou de gendarmes mobiles à l'extérieur des périmètres les plus chauds.
 La crainte quotidienne des autorités est qu'un «incident», comme on appelle pudiquement les guets-apens contre les policiers, gendarmes ou pompiers par des bandes agressives et souvent armées, ne conduise les fonctionnaires à ouvrir le feu pour se dégager, ce qui constituerait l'étincelle que chacun redoute avant un enchaînement de grande violence.

Il faut avoir la lucidité de comprendre deux choses.
D'abord, ces bandes sont constituées autour d'une logique ethnico-territoriale, et leur développement est une des nombreuses conséquences néfastes de la communautarisation de la société.
 Ensuite, corollaire du point précédent, ces bandes sont mues par une haine de notre pays, qui s'exerce contre ses représentants (les forces de l'ordre) et ses habitants, comme dans les transports ou bien à Juvisy samedi.

Il s'agit donc d'un phénomène d'une gravité extrême, à la fois par ses causes éthiques et par son expression.
À cet égard, je suis sidéré de constater que la question de ces violences en bandes ethnico-territoriales est quasiment absente des débats politiques actuels, qu'il s'agisse des primaires de droite ou de gauche ou des déclarations publiques des autres candidats.
À supposer que l'explosion générale de violence redoutée par la plupart des professionnels ne survienne pas d'ici à la prochaine élection, il est crucial que notre prochain président de la République prenne conscience de ce que les tensions ont désormais atteint sur différents points de notre territoire un degré paroxysmique, et nécessiteront d'autres initiatives que les éternelles condamnations de circonstance pour éviter une réaction en chaîne dont chaque jour nous rapproche.

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