Recep Tayyip Erdogan
C'est pour mieux réprimer l'opposition ayant eu la tentation du putch que le gouvernement a laissé ces événements se produire, estime le spécialiste de la Turquie Jean Marcou.
RT France :
Diverses théories existent quant à l'identité des organisateurs du coup d'Etat manqué en Turquie.
Certains y voient la main banale des forces militaires turques, d'autres disent que cela aurait pu être Erdogan lui-même, d’autres encore évoquent le leader d'opposition Fethullah Gülen, depuis les Etats-Unis.
Qui aurait pu être derrière ce coup d’Etat manqué en Turquie ?
Jean Marcou (J. M.) :
Le problème est que tout cela est extrêmement confus.
La théorie du complot selon laquelle Erdogan aurait pu organiser cette affaire lui-même est apparue au moment-même où le coup d’Etat s’effondrait.
Les gens sur des réseaux sociaux se sont rendus compte qu’ils se retrouvaient dans une situation tellement favorable que c’était suspect.
Bien évidemment c’est tentant pour les gens qui y sont particulièrement sensibles.
En outre, en Turquie, il y a une tradition de la théorie du complot.
Il faut que ce soit vérifié, tant qu’on n’aura pas des vérifications précises, on ne pourra rien dire.
Ce qui a pu arriver, si l’on sort de la théorie du complot, c’est que le gouvernement a été plus ou moins informé qu’il se produirait des évènements et qu'il les a laissées se produire afin de mieux frapper ses opposants à découvert.
Cela est bien plausible.
RT France :
Qu'en est-il des soupçons qui pèsent sur le mouvement créé autour de l'opposant exilé aux Etats-Unis, Fethullah Gülen ?
J. M. :
Il existe aussi une version plus précise qui dit que, en réalité, se préparait une sorte de procédure judiciaire contre des militaires qui auraient dénoncé des collègues à des procureurs qui étaient souvent liés au mouvement Gülen, de 2008 à 2013.
[...] Mais quand le gouvernement actuel, en Turquie, fait allusion à un complot Gülen, ce qui me pose problème, c’est qu’il n’y a pas d’éléments précis.
Je crains que cette imprécision ne soit destinée à favoriser une répression tous azimuts.
Si vous regardez ce qu'il s’est passé, on a arrêté des militaires qui ont participé au putsch.
C’est logique, quand on réprime un putsch.
Mais on a arrêté également près de 3 000 magistrats, juges et procureurs non seulement de premier rang, mais également des gens qui sont membres de la cour de cassation, du conseil d’Etat, c’est-à-dire les cours de justice suprêmes en matière judiciaire et administrative, et on a arrêté deux membres de la cour constitutionnelle.
Quand on regarde cette liste de magistrats, on a l’impression que le gouvernement est en train de se défaire des gens qui le gênaient.
Parce que l’on sait que, dans ces institutions, il y avait des réseaux de résistance : ils ont à plusieurs reprises fait preuve d'indépendance en cassant des décisions prises par le gouvernement.
On peut se demander si on est toujours là dans la répression d’Etat ou si l'on est dans une purge beaucoup plus large des opposants qui gênent le gouvernement actuel.
RT France :
Quels sont les éléments qui étayent cette hypothèse ?
J. M. : L'élément le plus précis est cette procédure judiciaire qui se préparait contre certains militaires et qu'un coup d’Etat aurait dû bloquer.
Ce qui me frappe, à l’heure actuelle, c’est que le gouvernement ne donne aucune précision sur les auteurs du coup d’Etat, on sait qu’un certain nombre de gens ont été arrêtés, mais on ne parle pas de ce qu’ils cherchaient à faire exactement, surtout dans leurs motivations.
La seule chose que dit le gouvernement, c’est qu'il s'agit de Fethullah Gülen.
On le voit bien, lorsque le gouvernement demande son extradition, les Etats-Unis disent : «Quelles preuves avez-vous ?En quoi il a été putschiste ?»
Si on commence à examiner de près le coup d’Etat, ses auteurs et motivations, il faudrait se demander pourquoi on arrête non seulement les militaires, mais aussi les juges.
RT France :
Des experts disent qu'il n’est pas anodin que le coup d’Etat se déroule au lendemain d’un pivot dans la politique étrangère de la Turquie : il y a eu une réconciliation avec la Russie, un changement à l'égard de la Syrie.
Y voyez-vous une coïncidence ?
J. M. :
Le changement est important.
On ne sait pas encore jusqu’à quel point cela va impacter la politique étrangère turque, car ça n’est pas non plus une révolution totale.
Je crois que cela a dû être beaucoup plus lié à des questions de politique intérieure, à l’évolution du régime, à la situation de l’armée. [...]
Je crois que les raisons sont soit beaucoup plus profondes politiquement, soit beaucoup plus personnelles.
Je ne pense pas que ce soit l’effet de la politique étrangère.
Par contre, je pense qu’il va y avoir des effets en politique étrangère dès lendemain de ce coup d’Etat, et ce notamment dans le cadre des difficultés américano-russes.
Avez-vous vu que, comme par hasard, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine doivent se rencontrer ?
On peut dire que le coup d’Etat peut avoir un effet sur la politique étrangère et pas l’inverse.
RT France :
En Turquie il est maintenant question de réinstaurer la peine de mort.
Pensez-vous que les autorités turques iront jusque là ?
J. M. : Recep Tayyip Erdogan a demandé aux gens de rester mobilisés, pour renforcer encore sa légitimité et écraser un peu plus l’opposition.
Mais il s'agit là peut-peut-être d'un discours un peu excessif pour satisfaire la foule.
Il a dit qu’il faut rétablir la peine de mort, parce que les gens sont excités.
L’armée a tiré sur la foule !
On sent qu’il faut qu’il satisfasse un peu cette excitation.
Il dit : «Je sais que certains voudraient que la peine de mort soit rétablie, comme vous êtes le peuple, vous avez le droit à ce qu’on examine la chose.»
Il n’a tout de même pas pris d’engagement définitif.
RT France :
Federica Mogherini a dit qu’un pays ne pouvait adhérer à l’UE si la peine de mort y existait. Erdogan est-il prêt à mettre en cause les discussions sur l’adhésion à l’UE au profit de cette satisfaction de la foule ?
J. M. :
Je ne pense pas.
Cette affaire a d'autres dimesions, notamment les négociations sur la question des réfugiés et la mise en place de la exemption de visas - c’est sur ce terrain-là que les choses vont se jouer.
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