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dimanche 12 avril 2015

« Les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire… »

 Entretien avec Bernard Lugan
Historien, spécialiste de l'Afrique
Expert auprès du TPIR, conférencier au Centre des Hautes Etudes militaires, à l'Institut des Hautes Etudes de Défense nationale, il dirige un séminaire au Collège interarmées de Défense (Ecole de Guerre)



 
Vous venez de signer Osons dire la vérité à l’Afrique consacré à l’Afrique noire. Le moins qu’on puisse dire est que le constat que vous en dressez n’est pas des plus brillants. À croire que, pire que la colonisation, il y a désormais la post-colonisation, avec les pillages de richesses, la corruption qui monte, conjointement avec la pauvreté…
 
En 1962, René Dumont publia L’Afrique noire est mal partie, livre dont le titre était aussi fort que faux car, à l’époque, le monde en perdition n’était pas l’Afrique mais l’Asie, alors ravagée par de terrifiantes famines et de sanglants conflits : guerre civile chinoise, guerres de Corée, guerres d’Indochine et guerres indo-pakistanaises.
En comparaison, durant la décennie 1950-1960, les habitants de l’Afrique mangeaient à leur faim, étaient gratuitement soignés et pouvaient se déplacer le long de routes ou de pistes entretenues sans risquer de se faire attaquer et rançonner…
 
Mais c’était au « temps des colonies », époque devenue « honteuse » et dont il n’est plus permis de parler que d’une manière négative.
 
Soixante-dix ans plus tard, le contraste est saisissant : du nord au sud et de l’est à l’ouest, le continent africain est meurtri.
De la Méditerranée aux prolongements sahariens, la dislocation libyenne entretient un foyer majeur de déstabilisation.
Dans le cône austral, ce qui fut la puissante Afrique du Sud sombre lentement dans un chaos social duquel émergent encore quelques secteurs ultra-performants, cependant que la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du « vivre ensemble ».
 De l’Atlantique à l’océan Indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux dont les ancrages se situent au Mali, dans le nord du Nigeria et en Somalie ; plus au sud, la Centrafrique a explosé, cependant que l’immense République démocratique du Congo n’en finit pas de mourir.
Humainement, le désastre est total avec des dizaines de milliers de boat people qui se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la « Terre promise » européenne.
 Les crises alimentaires sont permanentes, les infrastructures de santé ont disparu comme l’a montré la tragédie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, l’insécurité est généralisée et, contrairement à ce qu’affirment médias et « spécialistes », la pauvreté atteint des niveaux sidérants.
Économiquement, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique n’existe pas, même si certains pays-comptoirs connaissent une réelle prospérité.
 
Dans l’un de vos récents ouvrages, vous souligniez cette erreur commise par l’Occident consistant à croire que les Africains n’étaient que des Européens pauvres à la peau noire… Vouloir emprunter et imposer une culture étrangère au peuple ne serait-il pas l’une des errances majeures des dirigeants post-coloniaux ?
 
Selon moi, quatre grandes raisons expliquent ces échecs :
 
• La priorité donnée à l’économie : dans tous les modèles proposés ou imposés à l’Afrique subsaharienne, l’économique a en effet toujours été mis en avant.
Or, les vrais problèmes du continent sont d’abord politiques, institutionnels et sociologiques.
Ils découlent largement de la non-prise en compte de la réalité humaine qui est à base ethnique.
Certes, l’ethnie n’explique pas tout, mais rien ne s’explique sans l’ethnie.
 
• Le refus d’admettre la différence : les Africains n’étant pas des Européens pauvres à la peau noire, c’est parce que le corps social africain n’est pas celui de l’Europe, ou de l’Asie, que les modèles transposés n’y ont pas réussi.
Et si la greffe européenne n’a pas pris sur le porte-greffe africain, c’est parce que, comme le dit le proverbe congolais, « l’arbre qui pousse sur le bord du marigot ne deviendra pas crocodile… »
 Et cet échec s’explique parce que tous nos modèles sont à la fois universalistes et individualistes, alors que le corps social africain est communautaire et enraciné.
 
• Le diktat démocratique imposé à l’Afrique durant la décennie 1990.
 Il fut postulé que, si le développement avait échoué, c’était par déficit de démocratie.
Voilà pourquoi l’Afrique a subi, et subit encore, un véritable « diktat démocratique » avec pour résultat que le pouvoir revient automatiquement aux ethnies les plus nombreuses grâce à l’ethno-mathématique électorale.
 
• La démographie suicidaire : plus rapide que les créations d’infrastructures, elle va provoquer des cataclysmes dont il est difficile d’imaginer l’ampleur.
 


Entretien réalisé par Nicolas Gauthier.

« Osons dire la vérité à l’Afrique ».

Éditions du Rocher, 223 pages, cahier de cartes couleur.
21 euros.
Les lecteurs souhaitant une dédicace peuvent commander directement le livre à l’Afrique Réelle (BP 45- 42360 Panissières) en ajoutant 6 euros de frais de port (colissimo exclusivement).
 Ne pas oublier de communiquer votre adresse électronique).

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