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lundi 13 avril 2015

Don d’organes : vers une nationalisation des corps ?


 
 
Le 13/04/2015
 
L’État peut-il annexer mes cellules et dépouiller mon anatomie par effraction au prétexte que je n’ai pas manifesté mon désaccord ?
 
Peut-on disposer d’un cadavre comme d’une vieille guimbarde qu’on amènerait à la casse pour la désosser et récupérer les pièces en bon état ?
 C’est un peu l’impression que donne l’amendement voté vendredi 10 avril par l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi Santé.
 Celui-ci prévoit que le don d’organes des patients décédés (sauf mineurs) est désormais présumé consenti s’ils ne s’y étaient pas opposés au préalable.
 Jusqu’alors, le choix revenait aux familles qui, déjà sous le choc du deuil, devaient en plus décider dans l’urgence de laisser – ou pas – prélever les organes du défunt, souvent sans savoir ce qu’il aurait souhaité.
Environ le tiers d’entre elles refusent, alors que, paradoxalement, 80 % des Français sondés seraient favorables au don d’organes.
Pourquoi est-il de plus en plus difficile, dans une société à la pointe de la biotechnologie, de la recherche scientifique, de parler de la mort ?
 Sans doute parce qu’elle repousse sans cesse l’échéance et nous donne l’illusion d’être invulnérables.
 Il serait, pourtant, si simple d’aborder le sujet avec ses proches ou son médecin référent quand on est jeune et bien portant.

 Et pourquoi ne pas mentionner, dans sa carte Vitale, ses directives anticipées ou son accord pour le don d’organes ?

 Pour une raison obscure, l’Assemblée a rejeté cette éventualité, préférant comme de coutume légiférer et complexifier le débat.
Le principal moyen de s’opposer au prélèvement automatique sera de le signaler au très méconnu Registre national des refus de dons d’organes, qui ne compte actuellement que 100.000 inscrits.
Il eût été plus opportun d’adopter la logique inverse en incitant les donneurs volontaires à se faire connaître.
En France, près de 19.000 patients sont dans l’attente d’une greffe.
Ils ne peuvent que se réjouir de cette disposition qui ne manquera pas de sauver des vies.
 Du côté des médecins et infirmiers, en revanche, l’accueil est des plus désapprobateurs : une pétition a été adressée à Marisol Touraine.

Le professeur Claude Ecoffey, président de la Société française d’anesthésie et de réanimation, parle même de « nationalisation des corps » et s’inquiète des conflits potentiels entre le personnel soignant et les familles, qui devront se résigner, impuissantes, au dépeçage en règle de leur cher disparu à peine refroidi.

 « Les gens vont devenir fous, cela va créer des situations ingérables », redoute le professeur Francis Navarro, chef de service de chirurgie digestive au CHU de Montpellier.
Pour calmer cette vague de protestations, le Conseil d’État pourrait statuer d’ici à 2017 afin de restituer une certaine latitude aux familles les plus récalcitrantes.
 Gageons que dans quelque temps, on ne comprendra plus rien aux critères d’application de cette loi.

Si nous ne possédons même plus notre propre corps, que possédons-nous ?

 Que signifie la liberté individuelle si elle ne peut plus s’exercer dans notre chair ?

L’État peut-il ainsi annexer mes cellules et dépouiller mon anatomie par effraction au prétexte que je n’ai pas manifesté mon désaccord ?

 Ai-je envie qu’une partie de moi me survive ?

 Suis-je prête à la céder à n’importe qui, peut-être le pire des malotrus que je n’aurais jamais aidé de mon vivant ?

L’altruisme a ses limites, même dans l’autre monde.

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