Dans les rues de Tbilissi, les manifestations s’enchaînent depuis plus de 10 jours maintenant, autour du Parlement Géorgien, dans la grand artère principale qui passe devant (et non pas dans toute la ville contrairement à ce qu’on lit dans la presse occidentale), portées par une jeunesse étudiante animée par l’espoir d’un avenir meilleur.
Les revendications des manifestants, souvent relayées par les médias occidentaux, mettent en avant un désir de rapprochement avec l’Union européenne (UE).
Mais sur le terrain, les voix sont multiples et contrastées, dessinant un tableau bien plus complexe que celui souvent présenté. Nous sommes allés sur place, au coeur des manifestations, comme dans les quartiers populaires de Tbilissi, ou dans le centre historique, pour nous rendre compte...que les manifestations sont très exagérées en Occident, et qu’elles sont loin, très loin, de mobiliser massivement des Géorgiens, surtout si l’on compare aux manifestations que nous connaissons depuis des années en France (même si proportionnellement, il y a du monde dans les rues).
Oui, nous avons vu des tirs de canon à eau sur quelques émeutiers (comme on peut voir la BRAV charger des manifestants à Paris), et des arrestations (quelques dizaines, rien qui ne puisse choquer un observateur des manifestations en France). Mais nous avons vu aussi une ville totalement calme en journée. Des gens continuer de vivre leurs vies, de faire leurs courses, de travailler, de faire la fête aussi, sans se soucier de ce qu’il se passe entre la place de la liberté et le Parlement. Nous sommes allés parler à des Géorgiens (en notant qu’ils sont nettement plus nombreux à parler anglais parmi les manifestants que dans d’autres endroits de la ville), sans avoir la prétention de dire qu’ils représentent « Les Géorgiens », mais nous avons tenté au coeur des manifestations comme en dehors, d’en savoir plus.
Une jeunesse en quête d’avenir, mais pas à n’importe quel prix
Nino, étudiante de 22 ans, fait partie des milliers de jeunes qui descendent dans les rues de la capitale. Pour elle, rejoindre l’Union européenne représente une opportunité unique pour son pays de sortir de la crise économique qui l’étouffe. « Nous savons que la Géorgie a des valeurs différentes de celles de l’Europe occidentale, en particulier sur des sujets comme la famille ou la religion, mais nous avons besoin d’espoir », explique-t-elle. Lassée par l’inertie des autorités, Nino déplore également le manque d’écoute du gouvernement face aux aspirations de sa génération. « Nous ne demandons pas de renier ce que nous sommes, mais de nous offrir un avenir. La situation actuelle est insoutenable. »
Cependant, cet espoir n’est pas dénué de réserves. Irakli, un jeune ingénieur de 27 ans, souligne les risques d’un rapprochement avec l’UE. « Je veux une Géorgie européenne, mais je ne veux pas que nous perdions notre identité. L’Europe impose parfois ses valeurs sans tenir compte des spécificités locales. »
Une indifférence croissante parmi la population
Si les jeunes sont nombreux à manifester, une partie significative de la population reste à l’écart des rassemblements. Dans les quartiers périphériques de Tbilissi, Tamar, une commerçante de 45 ans, se montre sceptique. « Cela ne changera rien. L’Europe ne nous apportera pas de solutions miracles. » Ce sentiment est partagé par beaucoup de personnes que nous avons croisé. Certains craignent que la Géorgie ne devienne qu’un pion dans un jeu géopolitique entre l’Occident et la Russie. Giorgi, un chauffeur de taxi, redoute que son pays ne soit sacrifié. « Regardez l’Ukraine. Je ne veux pas que la Géorgie devienne un champ de bataille entre grandes puissances. Au final, ce sont les Ukrainiens qui meurent pour les Européens, c’est de la chair à canon, je ne veux pas ça pour mes enfants. »
Dans cette partie de la population, on perçoit une désillusion face aux promesses non tenues et une méfiance envers les agendas politiques extérieurs. « L’UE parle de démocratie et de progrès, mais à quel prix ? » interroge Tamar.
Entre nostalgie soviétique et quête de neutralité
Chez certains plus anciens, une certaine nostalgie de l’époque soviétique persiste. Revaz, un retraité de 68 ans, se souvient de cette période comme celle d’une stabilité relative, même sous un régime autoritaire. « Nous avions du travail, des infrastructures. Aujourd’hui, tout semble incertain. » Mais d’autres, comme Maia, une professeure à la retraite, plaident pour une voie indépendante. « Ni l’Europe, ni la Russie. La Géorgie doit rester libre et souveraine. Nous avons une culture unique et nous ne devons pas devenir dépendants des autres. »
Cette diversité d’opinions révèle une fracture au sein de la société géorgienne. Les jeunes urbains, ouverts à l’international, regardent vers l’Europe comme une solution à leurs problèmes économiques et sociaux. Les classes populaires et les habitants des zones rurales, en revanche, restent méfiants, voire hostiles à l’idée d’une adhésion à l’UE. Cette division est amplifiée par les craintes liées à la géopolitique. Avec des territoires comme l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud toujours sous occupation russe, la question de l’indépendance nationale reste au cœur des débats.
Les limites de l’approche européenne
Bien que l’Union européenne représente un espoir pour une partie de la jeunesse, ses exigences et ses valeurs sont parfois perçues comme incompatibles avec les traditions géorgiennes. L’opposition à des concepts comme « l’inclusivité » ou les changements sociétaux imposés par Bruxelles est régulièrement évoquée. Pas question en Géorgie de laisser les lobbys LGBT influencer les jeunes, surtout dans un pays où la religion orthodoxe pèse, massivement.
Leila, une jeune mère rencontrée dans le centre-ville de Tbilissi, faisant ses courses pendant les manifestations,, résume ce paradoxe : « Nous voulons la modernité et le progrès, mais pas au détriment de nos valeurs. Nous sommes Géorgiens avant tout. »
La Géorgie est aujourd’hui confrontée à un choix difficile : s’engager dans un rapprochement avec l’UE, en assumant les compromis que cela implique, ou chercher à préserver une indépendance qui pourrait l’isoler davantage économiquement.
Les témoignages recueillis montrent une population tiraillée entre espoir et prudence, entre ouverture et protection de son identité. Si la jeunesse manifeste pour un avenir meilleur, beaucoup restent sceptiques, doutant que l’Europe puisse véritablement répondre aux défis géorgiens sans imposer ses propres priorités.
Notre conclusion, c’est qu’en Europe de l’Ouest, la presse ment, en partie, et amplifie largement la contestation en Géorgie, comme s’il s’agissait de servir un agenda. Nous avons d’ailleurs croisé très peu de journalistes sur place (une de BFM, un de LCI, pour la presse française) ce qui laisse à penser qu’une partie de l’information est produite et diffusée par des gens qui ne sont tout simplement pas sur le terrain. Difficile dès lors d’avoir un avis objectif sur ces évènements.
YV
Illustration : Breizh-info.com (TDR)
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