Par Isabelle HOCK -Mais qui est Theodore Meron, l’homme-clé de l’argumentation sur laquelle s’appuie la CPI pour construire l’enquête sur Benjamin Netanyahu et Yoav Gallant?
Jeudi 21 novembre, la Cour Pénale Internationale a provoqué la fureur d’Israël en émettant des mandats d’arrêts contre Benjamin NETANHYAHU et son ministre de la défense, Yoav GALLANT pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Un autre mandat de la CPI pour les mêmes motifs vise Mohammed DEIF, chef de la branche armée du Hamas. Cela, vous l’avez repéré. Mais vous ne connaissez sans doute pas l’homme intègre qui mobilise une analyse juridique implacable contre les deux responsables israéliens – ses compatriotes.
Le 20 mai 2024, Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), avait marqué une étape majeure en demandant des mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens et du Hamas, accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Parmi les experts ayant validé cette décision figure Theodor MERON, une figure incontournable du droit international, connu pour son approche humaniste et rigoureuse. Survivant de l’Holocauste, il apporte une perspective unique, façonnée par ses propres expériences de persécution et sa carrière au croisement de la diplomatie et du droit.
ORIGINES ET JEUNESSE
Né en 1930 à Kalisz en Pologne, Theodor MERON grandit dans une famille juive. Son enfance est brutalement interrompue par l’invasion nazie en 1939. Déporté dans un camp de concentration à Czestochowa à l’âge de 9 ans, il y reste emprisonné jusqu’à sa libération en 1945, alors qu’il n’a que 15 ans. Sa famille est presque entièrement décimée par le génocide. Ces années traumatisantes le privent d’éducation formelle, mais elles forgent en lui une résilience exceptionnelle.
Après la guerre, orphelin et réfugié, MERON immigre en Palestine sous mandat britannique, où il est adopté par un oncle et une tante. Il décide d’étudier le droit, une vocation née de son expérience dans les camps, comme il l’explique :
« Mon objectif était d’explorer comment protéger la dignité humaine et éviter les mauvais traitements. »
DEBUT DE CARRIERE EN ISRAEL
Après ses études de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem, il devient avocat et égalementun diplomate talentueux. Il rejoint la mission permanente d’Israël auprès de l’ONU à New York en 1961, où il travaille sur des questions complexes, notamment celle des réfugiés palestiniens. Bien que son travail tente de proposer des solutions humaines à cette crise, il se heurte à l’opposition des autorités israéliennes, notamment de Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères.
SA POSITION SUR LA QUESTION PALESTINIENNE
Lors de la guerre des Six Jours en 1967, Israël occupe Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, le Golan et le Sinaï. Le Premier ministre israélien Levi Eshkol demande à MERON un avis juridique sur la légalité des colonies dans ces territoires. Celui-ci avertit que la colonisation violerait la Quatrième Convention de Genève, qui interdit à une puissance occupante de transférer sa population civile dans un territoire occupé. Pourtant, ses recommandations sont ignorées, et Israël poursuit sa politique de colonisation, marquant un tournant décisif dans le conflit israélo-palestinien.
MERON décrit dans ses mémoires le dilemme moral auquel il a été confronté : bien qu’il serve son gouvernement, son intégrité de juriste et diplomate fait en sorte qu’il ne peut soutenir une politique contraire au droit international. Plus tard, il reconnaîtra que ses efforts pour freiner ces pratiques n’ont pas empêché leur mise en œuvre, ajoutant à son sentiment de responsabilité dans les souffrances des Palestiniens.
Bien entendu MERON a fait l’objet de critiques, s’appuyant sur le concept de « sujet impliqué« théorisé par Michael ROTHBERG, estiment que MERON, bien qu’opposé aux colonies, a été complice de la politique israélienne en raison de sa position au sein du système. MERON, cependant, se distingue par son évolution intellectuelle, en dénonçant ces pratiques dans ses écrits et conférences ultérieurs.
CARRIERE ACADEMIQUE ET TRANSITION VERS LA JUSTICE INTERNATIONALE
En 1976, MERON quitte Israël pour les États-Unis, où il entame une brillante carrière académique. Enseignant à la New York University Law School (NYU), il devient une autorité en droit international et en droits humains. Il participe à la rédaction des statuts de la Cour pénale internationale (CPI) en 1998, notamment sur les dispositions relatives aux crimes de guerre.
Dans son ouvrage The Humanization of International Law (2006), il souligne le passage du droit axé sur la responsabilité des États à une responsabilité individuelle, établissant les bases des procès pour crimes de guerre. Son travail est central dans la création des tribunaux pénaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ainsi que dans la codification des normes protégeant les droits humains pendant les conflits.
La CPI a pour mandat de tenir des individus, et non des États ou des collectivités, responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. C’est pourquoi Khan n’inculpe pas Israël ni le Hamas, mais Benjamin NETANYAHOU, YoavGALLANT, Yahya SINWAR, Mohammed DEIF et Ismaïl HANIYEH.
UNE VISION UNIVERSALISTE DE L’HOLOCAUSTE ET DES DROITS HUMAINS
Contrairement à la vision nationaliste souvent associée à l’Holocauste, MERON considère cette tragédie comme une perte pour toute l’humanité. Lors de cérémonies commémoratives, il insiste sur l’importance de prévenir toutes les formes de génocide, quel que soit le groupe ciblé.
Dans le discours qu’il a prononcé lors de la cérémonie de commémoration de l’Holocauste organisée par les Nations unies à l’occasion du 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz, MERON a souligné que la machine à tuer nazie ne visait pas seulement les Juifs, mais aussi les Roms, les Polonais, les Russes, les dissidents politiques et d’autres groupes. Il a également rendu hommage aux non-Juifs qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs. Enfin, il a conclu en exprimant l’espoir que « ni nous ni nos enfants ne seront victimes ou, pire encore, auteurs d’un génocide. »
La perspective universaliste de MERON sur l’Holocauste n’est pas la norme dans le discours israélien ou juif, qui tend à adopter une vision nationaliste du génocide nazi. Mais pour MERON, « plus jamais ça » ne s’applique pas seulement aux Juifs, mais à tous les êtres humains.
LA PRESENCE DE MERON AU SEIN DU PANEL D’EXPERTS REND LE GRIEF D’ANTISEMITISME A L’ENCONTRE DE LA TPI ABSURDE (grotesque ?)
Avant son annonce, Karim Khan a convoqué un groupe de six experts en droit international. Leur tâche consistait à examiner les preuves et évaluer si elles constituaient des « motifs raisonnables de croire » que les suspects avaient commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en Israël et à Gaza. Le groupe d’experts a approuvé à l’unanimité la décision du procureur. Le 20 mai, le jour de l’annonce de Khan, le Financial Times a publié un article d’opinion rédigé par les six experts dans lequel ils résumaient leur rapport et décrivaient la guerre à Gaza comme
« sans doute sans précédent dans la mesure où elle a donné lieu à des malentendus quant au rôle et à la compétence de la CPI, à un discours particulièrement clivant, et parfois même dans certains cas à de l’antisémitisme et à de l’islamophobie. »
Dans un tel contexte, poursuivent les experts-conseils, ils « ont estimé qu’ils avaient le devoir de souscrire à la demande et de fournir un avis juridique impartial et indépendant, fondé sur des preuves. » (nous renvoyons à la tribune traduite en français).
UNE FIGURE EXCEPTIONNELLE DU DROIT ET DE LA MORALE
Theodor MERON est bien plus qu’un survivant de l’Holocauste ou un juriste de renom : il incarne la capacité à évoluer, à critiquer les systèmes auxquels on appartient et à travailler pour une justice universelle. Son soutien récent aux mandats d’arrêt contre des dirigeants du Hamas et d’Israël illustre sa détermination à tenir les individus responsables de leurs actions, peu importe leur camp.
Son parcours, marqué par les tragédies personnelles, les dilemmes professionnels et une quête inlassable de justice, constitue un témoignage inspirant pour ceux qui cherchent à réconcilier mémoire, morale et droit. Contrairement à l’observation selon laquelle la souffrance ne garantit pas la compassion, MERON est une exception : un homme qui a transformé ses douleurs en engagement pour la justice et la dignité humaine.
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