Il aura donc finalement eu son discours inaugural sous les voûtes de Notre-Dame, sous couvert de « dernière visite de chantier » retransmise en direct par toutes les télés. Il a grillé la politesse à l’archevêque de Paris, apparemment consentant, puisque ce dernier, sur le parvis, bien aligné en rang d’oignons avec les autres dans une semi-haie d'honneur, attendait le couple présidentiel comme le petit personnel accueille le comte et la comtesse de Grantham de retour à Downton Abbey.
Mais Monseigneur Ulrich n’était pas le seul à accompagner dans Notre-Dame Emmanuel et Brigitte Macron. Ceux-ci étaient aussi flanqués de Rachida Dati, de Valérie Pécresse, du préfet Nuñez et, surtout, d'Anne Hidalgo pour déambuler dans les contre-allées, la nef et le chœur, levant le nez, commentant ou serrant la main des artisans, s’arrêtant un instant devant la Vierge au pilier, comme un hommage du vice à la vertu. Car chacun sait que « Notre-Drame de Paris », comme est appelé le maire par ses opposants, avant le vrai drame de Paris qu’a été l’incendie, se préoccupait comme d’une guigne du patrimoine religieux parisien et que les célèbres embouteillages dans la capitale qu’elle a largement contribué à développer ont, le soir fatidique, ralenti les pompiers.
Un sketch des Inconnus
La fameuse statue restée intacte - qui a réintégré les lieux il y a 15 jours - doit avoir bien du mal à se sentir chez elle : si la partie « immobilière » de sa maison - les murs, la voûte, les croisées d’ogive, les colonnes, les sols - ont été magnifiquement restaurés, grâce à la patience, au savoir-faire et au talent méticuleux d’artisans merveilleux, le mobilier, en revanche, tient moins de l'église éternelle que d'un show room IKEA. La séance d’extase convenue devant un autel en forme de bol sur une estrade, d'un ambon sur le modèle d'un pupitre pour séminaire d’entreprise, de fonts baptismaux (quand on connaît les anciens…) semblables à un entonnoir, d'un fauteuil épiscopal au dossier dur et droit comme un siège de torture pendant l’Inquisition, d'un reliquaire pour la Couronne d'épines aux allures de « disque d'or » des années 80, ne laisse pas d'étonner. Quand aux félicitations surjouées aux « designers » Ionna Vautrin, Sylvain Dubuisson et Guillaume Bardet - celui-ci jurant ses grands dieux, avec des air modestes, que cet autel version poterie de CE2 pour cadeau de fête des mères lui a valu six mois de réflexion pour trouver l’inspiration -, elles ressemblent singulièrement à un célèbre sketch des Inconnus.
Emmanuel Macron a réussi - en tordant le bras, par le fait du prince, aux règlement en vigueur, mais reconnaissons que le jeu en valait la chandelle - à faire en sorte que Notre-Dame soit rebâtie en cinq ans. Il se sent donc l’empereur des lieux qui tapote l’épaule des artisans comme Napoléon tirait l’oreille de ses grenadiers : « Nous sommes contents de vous. » Et surtout de nous-mêmes.
Le roi est nu
Sauf que, comme dans le conte d’Andersen, l’empereur est nu. Ces meubles rutilants, les habits neufs de la cathédrale, sont nuls, mais chut ! il ne faut rien dire de peur de passer pour un plouc obscurantiste, un philistin obtus.
Le designer, puisque c’est son nom - il est vrai qu’en l’occurrence, il convient mieux qu’artiste ou artisan -, excipe comme dans les années 70, d’une sobre simplicité supposée rappeler le christianisme originel. Sauf que tout cela jure dans l’exubérance grandiose de la cathédrale comme un plat Tupperware™ sur la table d’un grand banquet dans la galerie des Glaces... à cette différence près que le coût (ignoré jusqu'à présent) ne doit pas être celui d’un moule à charlotte en plastique. Et en ces temps de Laudato si' prônant dans l'Église l'économie circulaire et le développement durable, le moins que l'on puisse dire est que l'archevêché de Paris ne donne pas l'exemple : tant de trésors à restaurer - et, pour ce faire, on le voit à Notre-Dame, il y a des artisans excellents - croupissent, au fond de la France, dans des réserves de musée oubliées et de petites églises en ruine qui auraient été honorées de ce don pour recyclage à Notre-Dame.
Comme Gisèle dans Les Caprices du même nom, Emmanuel Macron finit toujours par obtenir ce qu’il veut, même quand on lui a dit non : le discours dans la cathédrale, le geste contemporain avec le mobilier. Et l’on n’a pas encore vu les vitraux.
La France sait imiter le beau, mais plus le créer. Qu’elle ait au moins l’humilité de le reconnaître et se contente de reproduire… en attendant d’avoir retrouvé la recette qui est peut-être, au fait, spirituelle.
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