« La France a été traitée comme un paillasson. [...] Il faut commémorer la France, et non les Anglo-Saxons ! »
En octobre 1963, il explique son choix à Peyrefitte qui l'interroge : « Eh bien, non ! Ma décision est prise ! La France a été traitée comme un paillasson ! Churchill m'a convoqué d'Alger à Londres, le 4 juin. Il m'a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d'hôtel.
Et il m'a annoncé le débarquement, sans qu'aucune unité française ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement. Je lui ai reproché de se mettre aux ordres de Roosevelt, au lieu de lui imposer une volonté européenne (il appuie). Il m'a crié de toute la force de ses poumons : "De Gaulle, dites-vous bien que quand j'aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt !
Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! Quand nous aurons à choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large !" (Il me l'a déjà dit. Ce souvenir est indélébile.)
Le débarquement du 6 juin, ç'a été l'affaire des Anglo-Saxons, d'où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s'installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s'apprêtaient à le faire en Allemagne ! Ils avaient préparé leur AMGOT, qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l'avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis.
C'est exactement ce qui se serait passé si je n'avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous- préfets, mes comités de libération ! Et vous voudriez que j'aille commémorer leur débarquement, alors qu'il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n'est pas là !
Et puis, ça contribuerait à faire croire que, si nous avons été libérés, nous ne le devons qu'aux Américains. Ça reviendrait à tenir la Résistance pour nulle et non avenue. Notre défaitisme naturel n'a que trop tendance à adopter ces vues. Il ne faut pas y céder !
En revanche, ma place sera au mont Faron le 15 août, puisque les troupes françaises ont été prépondérantes dans le débarquement en Provence, que notre 1re Armée y a été associée dès la première minute, que sa remontée fulgurante par la vallée du Rhône a obligé les Allemands à évacuer tout le Midi et tout le Massif central sous la pression de la Résistance.
Et je commémorerai la libération de Paris, puis celle de Strasbourg, puisque ce sont des prouesses françaises, puisque les Français de l'intérieur et de l'extérieur s'y sont unis, autour de leur drapeau, de leur hymne, de leur patrie ! Mais m'associer à la commémoration d'un jour où l'on demandait aux Français de s'abandonner à d'autres qu'à eux-mêmes, non !
Les Français sont déjà trop portés à croire qu'ils peuvent dormir tranquilles, qu'ils n'ont qu'à s'en remettre à d'autres du soin de défendre leur indépendance ! Il ne faut pas les encourager dans cette confiance naïve, qu'ils paient ensuite par des ruines et par des massacres ! Il faut les encourager à compter sur eux-mêmes ! Allons, allons, Peyrefitte ! Il faut avoir plus de mémoire que ça ! Il faut commémorer la France, et non les Anglo-Saxons ! Je n'ai aucune raison de célébrer ça avec éclat. Dites-le à vos journalistes.
Ceux qui ont donné leur vie à leur patrie sur notre terre, les Anglais, les Canadiens, les Américains, les Polonais, Sainteny et Triboulet seront là pour les honorer dignement. »
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