Tribune
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Sept mois après la publication des « Fossoyeurs » (Fayard), révélant les conditions difficiles dans les Ehpad du groupe Orpéa, la journaliste Dominique Prédali, qui a elle-même enquêté sur cette question, revient sur ce sujet grave dans une tribune.
Les révélations des Fossoyeurs de Victor Castanet ont bouleversé le gouvernement. Olivier Véran avait tempéré « si ces faits sont avérés » et Brigitte Bourguignon se demandait s’il y a vraiment eu des rationnements sur tout, en précisant qu’elle ne voudrait pas qu'on fasse des généralités.
Quid des enquêtes officielles sur les « dysfonctionnements chroniques », des reportages, des études ? Et quid de l’hécatombe de 2020 dans les Ehpad du monde entier qui n’a fait qu’exacerber la crise chronique dans ce secteur ? Les résidents – moins de 1 % de la population – comptaient pour 50 % à 81 % des morts du covid.
Situation critique
Des taux de mortalité parfois supérieurs à ceux de l’Ebola en Afrique (+30 %) ont alerté l’épistémologue Sylvain Diamantis qui a prouvé que le défaut de soins tuait plus que le virus. Des résidents sont morts de soif, de faim, de privation de soins médicaux et d’hygiène par manque de personnel qualifié. Les études internationales le confirment.
Les Ehpad privés commerciaux, dont les taux d’encadrement qualifiés sont plus bas partout, ont été les plus touchés, mais « ne s’agit pas de jeter l’opprobre », explique Catherine Deroche, ancienne sénatrice. Et pas d’Ehpad bashing, comme ont pu l'évoquer Agnès Buzyn, et Brigitte Bourguignon, alors que ces structures sont financées comme les autres à plus de 70 % par les derniers publics dans la plupart des pays industrialisés (voir Dominique Prédali & Jacques Soubeyrand, Douze gériatres en colère, Fayard, 2009) sans avoir à justifier leurs dépenses (voir Douze gériatres en colère ou Victor Castanet, Les Fossoyeurs, Fayard). En Europe, sur 220 milliards d’euros alloués pour les soins, une partie de plus en plus importante profite aux investisseurs.
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Lorsqu’Olivier Véran explique qu’il s’agit « de mauvaise utilisation d’argent public », il oublie que les fraudes et les soins médiocres vont souvent de pair. Il y a 20 ans, le criminologue John Braithwaite (« The challenge of regulating care for older people in Australia », BMJ 2001) expliquait que la plupart des Ehpad américains épinglés pour la médiocrité de leur prise en charge l’étaient aussi pour fraude à l’assurance maladie. Une technique universelle consiste à augmenter le niveau de dépendance pour obtenir plus d’argent public. Les couches, imposées par le manque de personnel, accélèrent la grabatisation. Rationnées par économie, elles provoquent des infections qui accélèrent la fin de vie (voir Christophe Fernandez, Thierry Pons, Dominique Prédali & Professeur Jacques Soubeyrand, On tue les vieux, Fayard, 2006).
Machine à broyer les vieux
La course au profit impose d’économiser sur tout. « Oui, on fait de l’argent avec des petits vieux. Tant mieux ! Si c’est le résultat d’une bonne gestion » disait Luc Broussy, alors directeur de l’Executive Master de Politiques gérontologiques et gestion des Ehpad à Sciences-Po, dans Paris Match, le 18 septembre 2003. Le directeur financier d’Orpea vantait « une discipline de gestion axée sur la maîtrise des charges », dans Les Échos le 14 octobre 2004.
Aux États-Unis, en 2007, la sociologue Charlene Harrington témoigne devant le Congrès que « ces chaînes font de l’argent en rognant sur le personnel jusqu’à l’os et en empochant les bénéfices ». Selon ses études, plus elles sont rentables, plus les dysfonctionnements sont importants. Les Ehpad privés ne sont pas les seuls incriminés, la Cour des comptes les fustige tous. Dito pour les hôpitaux où, depuis des décennies, le personnel dénonce une maltraitance institutionnelle due à l’exigence de rentabilité (On tue les vieux).
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Ces machines à broyer les vieux le font en toute impunité avec la complicité des États. Dès 1985, un décret de Georgina Dufoix demande que les malades inadéquats – i. e. âgés – soient chassés hors des soins de longue durée (SLD) et transférés dans les maisons de retraite, moins chères mais inadaptées. En 2005, un rapport de l’IGAS confirme que les lits de SLD coûtent presque le double et sont sur-dotés en personnel surqualifié. La fermeture des lits de gériatrie, 48 000 en 14 ans (voir Quotidien du médecin 3 juillet 2019), profite aux Ehpad privés. La directrice de l’AP-HP, Rose-Marie Van Lerberghe, en a vendu à Korian. Elle est devenue présidente du directoire en 2006 et a introduit Korian en bourse (On tue les vieux). Ces liaisons dangereuses entre l’État et les grands groupes sont courantes. Aux États-Unis, leurs lobbyistes contribuent aux campagnes présidentielles et des politiques des deux partis siègent dans leurs comités de direction, comme au Canada et en Australie (Douze gériatres en colère). Ceci peut expliquer l’absence d’enquêtes officielles sur l’hécatombe de 2020.
On tue les vieux dans les Ehpad du monde entier. Dans ces zones de non-droit, mauvais traitements et défaut de soins ne sont que des « dysfonctionnements » graves, pour Brigitte Bourguignon, empêchant la bientraitance (Douze gériatres en colère), mais qui ne relèvent pas de la justice. Il est pourtant urgent de regarder la réalité en face et d'agir.
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