Les policiers de la base pourraient bien créer eux-mêmes la rupture.
Leur nombre finit par les transformer en faits politiques.
Chacun sait qu’on n’entre pas dans la police par hasard mais par vocation.
Qu’il s’agisse de faire respecter la loi ou de porter secours à autrui, l’action de la police est motivée par les notions classiques de maintien de l’ordre public et de servir son prochain.
Dans nos sociétés développées, la tâche est difficile mais devient vite insurmontable si l’activité de la police est systématiquement évaluée à l’aune des « violences policières ».
On comprend bien que la notion de violences policières soit utilisée par la frange de la population qui occasionne constamment l’intervention de la police.
Conceptuellement, il s’agit là d’une dérive inquiétante.
Mais le plus inquiétant vient du fait que les politiques, les journalistes et les magistrats – ah ! le fameux triptyque que voilà ! – donnent trop souvent corps à cette dérive.
Rappelons que l’usage de la force par la police est légitime et que nul ne conteste que cet usage doit être encadré.
Dans son action quotidienne, le policier de base est désormais pris en tenaille.
D’une part la racaille cherche à le tuer chaque fois que l’occasion s’en présente, quitte même à la provoquer ; d’autre part, en cas d’intervention musclée, sa hiérarchie est prête à le lâcher si le triptyque évoqué sonne la curée.
Les mâchoires du piège sont redoutables : en quelques années – et le phénomène s’accélère – de la crainte d’un mauvais coup en intervention, on est passé à la peur de mourir dans un guet-apens, cette peur s’étendant désormais à la famille et aux heures hors service.
De même l’idée d’avoir à rendre des comptes à la police des polices en cas de faute s’est transformée en obligation de justifier tous ses actes et de s’abstenir d’agir – quitte à en mourir – chaque fois que l’on craindra de ne pas pouvoir se justifier.
Pour sortir de ce piège, ils sont chaque année plusieurs dizaines à préférer se suicider sans que la haute hiérarchie en ressente la moindre gêne morale.
À ces morts par suicide, il convient d’ajouter les morts et les blessés en service, ce qui finit par faire beaucoup de monde et beaucoup de familles.
Mais le pire, pour un policier et sa famille, est d’être pris dans la tourmente d’une mise en accusation pour faute professionnelle, quand bien même cette faute est vénielle, voire sans fondement.
Le policier devient alors un salaud dont le nom est jeté en pâture à la presse, dont la carrière est brisée, dont l’honneur est sali et qui, bouquet final, voit trop souvent sa famille exploser.
Face à cette situation, le discours des politiques ne change pas.
S’il y a mort en service, la condamnation de l’acte par le ministre de l’Intérieur est sans appel et sa punition par la Justice est réputée quasi certaine, comme si l’un avait pouvoir sur l’autre.
Au bout de quelques années, les malheureux ne sont plus là pour constater que leur vie ne valait pas cher, en tout cas aux yeux de la Justice.
Si la victime est un malfaiteur, la bavure policière n’est pas loin.
Après le lynchage médiatique et les années de procédure, le policier, humainement broyé, pourra éventuellement bénéficier d’un non-lieu.
Dans tous les cas, c’est malheur aux vaincus.
Devant ce terrible constat, les politiques soutiennent qu’il n’y a là rien de nouveau, si ce n’est un sentiment d’injustice infondé, comme l’était le « sentiment d’insécurité » qu’avaient connu les Français il y a quelques années.
La réalité est autre et, un jour ou l’autre, cette évolution conduira à la rupture.
Menacés dans leur vie par la racaille et dans l’exercice de leur métier par leur propre hiérarchie, les policiers de la base pourraient bien créer eux-mêmes la rupture.
On les a vus jeter au sol leurs menottes.
Il se pourrait bien qu’un jour, prenant collectivement conscience de leur abandon, ils refusent de servir plus longtemps un pouvoir qui ajoute la lâcheté à la faiblesse.
Attention, danger !
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