Paradoxalement, notre société, où quelques pharisiens se glorifient de leur « humanisme », a des tentations mortifères qui font froid dans le dos.
Récemment, selon le journal La Croix, une députée écologiste a suscité une polémique aux Pays-Bas en s’interrogeant sur l’opportunité de poursuivre des soins pour les plus de 70 ans.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de supprimer toutes les personnes qui ne seraient plus considérées comme socialement utiles, mais d’éviter des dépenses trop lourdes – dans l’intérêt de l’ensemble de la population, il va de soi.
Ce n’est pas encore le cas en France où, selon une enquête publiée en 2017, 85 % des Français estiment que tout doit être mis en œuvre pour soigner une personne âgée.
La plupart n’approuvent pas l’idée que soigner un cancer chez une personne âgée coûterait trop cher à la Sécurité sociale.
Mais quand on entend les débats sur la « fin de vie », sur « la mort dans la dignité », quand un écologiste, Michel Sourrouille, estime que « eugénisme à la naissance, euthanasie en fin de vie et même suicide me semblent des choix courageux quand ils sont assumés en toute conscience », on peut se dire que l’opinion majoritaire peut changer avec le temps.
L’argument de la députée hollandaise ? « Les gériatres doivent donner leur avis et être écoutés sur la nécessité de certains traitements lourds, opérations cardiaques, nouvelle hanche ou chimiothérapies… »
Il paraît évident qu’on ne va pas faire une opération de la hanche à un centenaire, dont l’espérance de vie n’est que de quelques mois, ni lui poser un stimulateur cardiaque.
Mais ce sont là des cas extrêmes.
Pourquoi le choix de 70 ans, et pas de 75 ou de 65 ans ?
Quand on se lance dans ce type de raisonnement, tout devient relatif.
Reviennent à l’esprit quelques pages du Courrier d’un biologiste, de Jean Rostand, publié en 1959. Il imagine une société aseptisée de tous ses défauts, de tout ce qui porte atteinte au confort des bien portants.
« Quand on aurait pris l’habitude de raréfier les nonagénaires », écrit-il, « les octogénaires seraient jugés fort décrépits, en attendant que ce fussent les septuagénaires… Peu à peu, la mentalité collective, l’optique sociale se modifieraient. Toute déchéance, physique ou morale, entraînerait une réduction du droit de vivre ».
Il passe en revue les avantages que la société en tirerait : en rendement, en productivité ; en offrant un spectacle plus agréable, « sans grands vieillards, affligeant le regard… ».
Puis il conclut : « Cette société, nettoyée et assainie, cette société plus dynamique, plus tonique, plus virile, plus robuste, plus saine et plus agréable à contempler […], je ne suis pas sûr qu’elle mériterait encore d’être appelée humaine. »
Il ne reste plus qu’à donner aux vieillards « une sorte de honte à être encore là ».
Soixante ans après, cette réflexion sur l’homme de Jean Rostand est d’une brûlante actualité : la société ne s’est-elle pas engagée sur ce chemin ?
D’autres voies sont pourtant possibles, qui passent par une véritable politique démographique et familiale, nécessaire pour retrouver l’équilibre des générations.
Un changement de mentalité, aussi, pour développer les liens de solidarité.
Une conception de la société qui ne soit pas fondée principalement sur le rendement et le profit.
Une véritable révolution.
Mais cela, ce n’est peut-être désormais qu’une utopie, un phare, dans le lointain, dont la lumière s’éteint peu à peu.
Il appartient à tous ceux qui refusent cette perspective d’en entretenir la flamme.
Philippe Kerlouan
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