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dimanche 16 juin 2019

Loiseau : erreur de casting ou choix délibéré ?

  


   

C’est quand même curieux, cette « affaire Loiseau ». Cet art de hisser la médiocrité au niveau des plus brillants scandales.

Les « story-tellers » – c’est leur job, on finira bien par s’apercevoir qu’ils ne servent d’ailleurs qu’à cela – savent faire feu de tout bois, tout le temps.

Déjà, avec ce patronyme, on régalait à la fois les potaches et les tintinophiles, les premiers étant des cons notoires et les seconds d’affreux réactionnaires réfractaires à toute idée de progrès (sinon suspects de sympathies pour les heures pas très claires).
De fait, le rossignol de l’ENA a surtout su montrer, en dépit des dithyrambes, ses qualités de volaille de basse-cour.
C’est déjà un comble de devoir astiquer autant une huile pour espérer qu’elle finisse par briller.
Mais pourquoi pas…
Non, là où la chose est très intrigante, c’est lorsqu’on remonte un peu le cours de cette – courte – histoire.
D’abord en se rappelant que pour entrer et gravir les échelons dans le cercle étincelant de la macronie, les meilleures places étaient – comme toujours – réservées aux ambitieux sans scrupule ni conviction, et les suivantes aux éternels seconds couteaux besogneux de la haute fonction publique, ceux-là mêmes qui ne distinguent toujours pas – et ne distingueront jamais – l’administration de la politique, persuadés que la première est le stade ultime, parfait, de la seconde.
Ca fait longtemps qu’on voit nommer, aux hasards des remaniements, des figures aussi oubliables que stéréotypées dont les enquêtes les plus rudimentaires nous apprennent sans surprise qu’ils ont frayé dans les mêmes eaux, avec les mêmes gugusses, et qu’ils pointent dans les mêmes carnets d’adresse.
Avec la macronie, on a franchi un petit palier : c’est un vivier, un radeau.
Alors quand, parmi ces hordes de jeunes loups et de vieille biques, est sorti le nom de « Loiseau » pour devenir ministre de la République, la première réaction a été l’indifférence : « encore une terne inconnue au charisme de bulot appelée à faire de la figuration ».
Les plus affûtés savaient éventuellement qu’elle n’était pas si inconnue que ça, puisqu’elle avait été appelée par Juppé à saisir le gouvernail de l’ENA… ce qui vous pose d’emblée une « femme d’Etat ».
Elle y laissera d’ailleurs peut-être autant de souvenirs que dans sa brillante carrière politique.
Bref, on savait.
Mais « ministre » ne suffisait pas !
Il fallait aller plus loin.
Prendre la tête, par exemple, de la croisade pour une « renaissance européenne » contre l’hydre fasciste.
Et il a fallu qu’elle le fasse comme elle l’a fait, avec une spontanéité qui, dès le départ, a provoqué l’hilarité des uns et la consternation des autres.
Déjà, quelques questions se posent : en avait-elle vraiment envie ?
A-t-elle vraiment fini par être convaincue de son charisme ?
L’a-t-on propulsée pour le plaisir de se foutre de sa gueule dans un bidule sans enjeu ni grand péril ? Pourquoi ? Comment ? Qu’avons-nous fait pour mériter ça ?
Sa déclaration de candidature devrait figurer en bonne place dans les annales du ridicule, sa campagne fut un festival de « ni fait ni à faire » à tel point qu’ils en sont arrivés à se dire que moins on la verrait, mieux ça vaudrait… et d’ailleurs, grâce à son charisme, la différence s’est assez peu vue.

De toute façon, dans une élection dont la plupart se foutent éperdument et à laquelle une grande part ne participe pas, il n’était pas difficile de « prédire » (terme désormais consacré en politique, en dépit de tout bon sens) qu’elle sauverait ses fesses d’une façon ou d’une autre.
Quand un système médiatique est capable de faire croire pendant trente ans que l’épicerie Le Pen est une « alternative politique », on comprend vite qu’il est capable de toutes les prouesses.
Or donc et nous y voilà : elle y est.
La voici députée européenne dans un Parlement qui n’en est pas un (et qui ne sert à rien mais je me répète) et l’une de ses premières initiatives aurait été, nous dit-on, de déblatérer tout un tas de saloperies sur ceux dont elle comptait faire ses alliés, voire prendre la tête.
Scandale ! « Hou la boulette ! » etc.
Et l’on commence à se demander en haut lieu (même Quatremer, c’est dire !) si elle ne serait pas un petit peu nulle sur les bords.
Il y a quand même un petit problème : pour être « nul » à ce point-là, il faut être complètement stupide (ce que je ne crois pas), ou alors savoir un peu ce qu’on fait et pourquoi.
L’excuse de la « naïveté » ne tient pas aussi longtemps.
L’impression que ça me donne, c’est que Loiseau était le parfait piaf pour un machin sans enjeu, sans péril, un bidule d’affichage où la victoire était quasi-assurée par la force du matraquage médiatique et de l’indifférence citoyenne – et, par vases communicants, la demi-victoire excusée par la médiocrité de la championne.
L’enjeu était, encore et toujours, uniquement de politique intérieure : pérenniser une cartographie politique en vue des prochaines échéances.
Le job is fait. La meuf est in ze place.
Mais, et c’est un aveu de plus, « ze place » ne sert tellement à rien qu’on peut se payer le luxe d’y faire, d’y dire n’importe quoi puisque ça sera de toute façon sans la moindre incidence sur le cours des vraies choses.
Sauf, à la rigueur, se payer à peu de frais une image de rebellitude disruptive.
Stérile évidemment, puisqu’on va à la gamelle dès qu’elle se pointe, mais médiatiquement bankable. Et puis un bras d’honneur, est-ce que ça se refuse ?
Le macronisme est décidément un délicieux anniversaire, ou une belle maturation, de 1968… dans ce qu’on y trouve de pire : de jeunes cons arrogants qui confondent crise d’adolescence salutaire et accès de sénilité.
Ce n’est pas étonnant qu’on y trouve, pêle-mêle (pour ne pas dire tête-bêche), à la fois les jeunes vieux qui n’ont jamais été jeunes, les vieux jeunes qui n’ont jamais admis de devenir vieux et, par effet « tache d’huile », tous ceux qui n’aiment pas trop se mouiller, qui veulent bien du changement mais… « dans la continuité ».
Ce n’est pas, aujourd’hui, l’alliance de Cohn-Bendit et de Giscard qui est contre-nature.
Ce qui est contre-nature, c’est d’avoir cru, il y a quarante ou cinquante ans, que ça n’aboutirait pas à ça, à cette alliance naturelle des vacuités arrogantes, à ce culte béat et stérile de la « modernitude » comme une fin en soi, un horizon indépassable.

Si combattre ce nihilisme est du populisme, alors oui, soyons populistes.

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