Posté le lundi 29 octobre 2018
Mon grand-père paternel, Louis, a gagné la guerre de 1914-1918. Pas tout seul ! Avec huit millions de ses concitoyens dont 1 400 000 n’en sont pas revenus et 4 000 000 d’autres qui ont souffert dans leur chair, souvent jusqu’à la fin de leurs jours, de leurs blessures.
En 2016, année commémorative du centenaire de la bataille de Verdun, je suis allé remettre au remarquable musée de la Grande Guerre du pays de Meaux des objets souvenirs de ce conflit que mon père, né en 1912, détenait de son père et m’avait à son tour légués.
Il s’agissait de deux douilles d’obus de 37 mm gravées, de cartes postales destinées à la correspondance des militaires, ornées d’une gerbe de drapeaux alliés, et sur lesquelles mon grand-père recommandait à son fils d’être sage pendant son absence et d’une feuille de chêne séchée sur laquelle, par le biais de perforations faites avec une aiguille, apparaissait le prénom de mon père : Jean.
Au cours de la visite guidée privée à laquelle je fus ensuite gracieusement convié, deux questions n’ont cessé de me tarauder l’esprit, deux questions simples, triviales, qui ne devaient rien à une quelconque forme de « pensée complexe ».
Comment des hommes, issus de nations culturellement brillantes, ayant donné au monde des philosophes, des écrivains, des musiciens, des scientifiques de génie avaient-ils pu s’infliger mutuellement autant de souffrances ?
Comment, acceptant ces souffrances, les maîtrisant, les dominant, tant d’hommes furent-ils prêts à donner leur vie pour leur pays ?
En ne voulant pas, monsieur le Président, commémorer la victoire de mon grand-père mais simplement célébrer la paix qui s’en suivit, je crains et, je dois l’avouer, cela me remplit d’effroi, que vous, chef des Armées qui avez le pouvoir et la capacité d’envoyer des hommes à la mort, n’ayez pas compris comment et pourquoi un homme est capable de donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse.
Laisser entendre que les combattants n’étaient pas véritablement des soldats, mais des civils que l’on avait armés et revêtus d’un uniforme en la circonstance, c’est suggérer que s’ils mouraient, c’est parce qu’ils y étaient contraints par des chefs sanguinaires.
Pensez-vous, monsieur le Président que des Genevoix, des Péguy, des Fournier étaient des officiers ivres de sang et de haine lorsqu’ils entraînaient leurs hommes à l’assaut ?
Non, il ne s’agissait pas de civils déguisés, car, alors, toute la Nation était en armes à l’instar de la Patrie en danger de juillet 1792.
Les lieutenants Genevoix, Péguy, Fournier n’étaient pas des militaires de carrière, mais ils se fondirent dans la masse des officiers d’infanterie chez qui les pertes, un officier tué sur trois, furent supérieures à celles des hommes de troupe, un sur quatre.
Ces officiers, ces soldats acceptaient de mourir parce qu’ils ressentaient dans leur chair, dans leurs tripes, l’absolue nécessité de ne pas céder un mètre carré du sol de la Patrie sur lequel, derrière, se trouvaient leur champ ou leur jardin et vivaient leur femme et leurs enfants.
C’est faire insulte à ces hommes là que de penser qu’ils ont été conduits à l’abattoir, à leur corps défendant et en étant inconscients de l’enjeu du moment.
Certes, leur départ pour le front n’a pas toujours été aussi joyeux que l’a prétendu une forme de légende populaire et ne se déroulait pas toujours au milieu d’une foule en liesse.
Mais si ces hommes partaient sans joie, il n’y avait chez eux aucun doute sur la justesse de leur engagement.
Civils mobilisés ou militaires d’active, ils étaient des soldats et se devaient de défendre leur Patrie.
Vouloir occulter l’aspect militaire attaché à la journée du 11 novembre 1918 pour ménager la sensibilité de nos amis allemands, c’est faire preuve d’une tartufferie que Molière lui-même n’aurait pas osée.
La France n’est pas coupable d’avoir fait la guerre et de l’avoir gagnée.
Si, monsieur le Président, c’est bien, jusqu’à cette date tant attendue, le volet militaire qui prévalut avant toute autre chose et qui généra une rupture brutale dans l’évolution de pratiquement tous les domaines de notre société.
C’est bien sous l’aiguillon de la nécessité militaire que des progrès techniques considérables ont été réalisés, que les femmes sont allées au travail dans les usines d’armement ou ont tiré la charrue car les chevaux avaient été réquisitionnés.
Le 13 juin 2018, vous rendiez hommage, monsieur le Président, à Georges Clemenceau, en vous rendant sur sa tombe à Mouchamps, en Vendée, et en inaugurant le musée qui lui est consacré dans sa maison natale, à Mouilleron-en-Pareds.
Aviez-vous alors en tête son discours du 20 novembre 1917 devant l’Assemblée nationale où il déclara notamment : « Ces Français que nous fûmes obligés de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous. Nous leur devons tout, sans aucune réserve. Ils veulent qu’aucune de nos pensées ne se détourne d’eux, qu’aucun de nos actes ne leur soit étranger ? »
Répondez-vous à cet impératif en refusant de célébrer leur victoire le 11 novembre prochain ?
Péguy disait que l’honneur consiste à ne pas oublier que nos morts nous regardent et nous imposent de continuer, en toutes circonstances, à faire notre devoir.
Or, il n’y a qu’une façon de rendre hommage à un soldat mort au combat, hier comme aujourd’hui, c’est de lui rendre les honneurs militaires tels que prévus par un cérémonial lui-même construit, au fil du temps, à travers les événements les plus tragiques de notre Histoire.
Ce cérémonial est un héritage.
On le doit à ceux à qui il est destiné.
Son application stricte à travers une prise d’armes et un défilé serait la marque de notre fidélité à nos aïeux dont le patriotisme trouva son expression la plus pure sur la Marne, à Verdun, sur la Somme ou sur l’Aisne.
Comme l’a très bien rappelé le colonel Michel Goya, le 24 octobre dernier, dans un article du Figaro :
« Ce sont les nations qui font les guerres et non les armées et la guerre est un acte politique. Célébrer la fin de la guerre sans célébrer la victoire, c’est refuser la politique et sans politique l’emploi de la force n’est que violence criminelle. »
Jusqu’à ce jour, Georges Clemenceau, qualifié par ailleurs de Père la Victoire et que vous avez honoré en juin dernier, monsieur le Président, n’a jamais été accusé d’être un criminel de guerre. Alors, n’oublions pas de respecter son impérative obligation qui vaut pour l’éternité : « Ils ont des droits sur nous ! »
Comme tous ses compagnons d’armes, mon grand-père a aujourd’hui disparu ; je m’autorise donc à faire ce rappel en son nom.
Général Gilbert ROBINETSecrétaire général de l’ASAF
Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
Source : www.asafrance.fr
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