Le 08/11/2016
François Teutsch
Avocat
Il paraît que certains avocats s’apprêtent à solliciter un préjudice d‘angoisse pour les victimes du Bataclan.
Depuis trois heures, les canons ne cessent de tirer.
Assourdis par les explosions, transis de froid sous la pluie fine qui tombe depuis trois jours et trois nuits, les hommes attendent.
Encore dix minutes avant l’assaut.
Là-bas, à 300 m à peine, il ne doit pas rester grand-chose des tranchées boches.
À coups d’énormes obus de 150, notre artillerie détruit méthodiquement les fortifications ennemies, les nids de mitrailleuses, les barbelés.
Le terrain est dévasté, l’acre odeur de la fumée envahit la tranchée et fait tousser les hommes ; on leur a donné de la gnole.
Ils ont peur, ils ont froid, ils essayent de ne pas penser aux minutes qui vont suivre.
Ils savent.
Ils savent qu’au coup de sifflet, ils franchiront le parapet ; ils savent que les mitrailleuses, prestement remises en place, accompliront leur œuvre de mort au son de leur sinistre staccato ; ils savent que le camarade à leur côté sera peut-être le premier à tomber ; ils s’attendent à la balle faucheuse qui leur arrachera la moitié du crâne ou, pire encore, en s’enfonçant dans leur ventre, les fera hurler de douleur pendant des heures d’agonie.
Les hommes se souviennent de ces assauts qu’ils ont déjà menés si souvent, de leur étonnement de survivre à cet enfer, de ne pas être de ceux qu’un éclat de shrapnel a démembrés, aveuglés, privés de la mâchoire ou décapités.
À l’arrière, loin dans les campagnes, leurs épouses et leurs enfants s’attendent, chaque jour, à la visite du maire ou des gendarmes, porteurs du message qui a endeuillé, déjà, tant de voisins, de cousins et d’amis.
Trente ans plus tard, sous les bombes américaines, Thérèse se souvient de ce que racontait son père. Elle qui griffonne de petits drapeaux tricolores sur la couverture de ses livres, elle qui écoute Radio Londres en cachette, elle qui ne supporte plus de voir les soldats allemands arpenter les rues de son quartier ; à son tour, elle connaît la peur, la panique qui prend aux tripes et fait courir vers l’abri lorsque le son lugubre des sirènes annonce la vague de bombardiers qui détruisent sa ville.
Elle pense à son mari, parti travailler, qui peut-être ne rentrera pas ce soir.
Elle se demande si ses enfants auront de quoi s’abriter la nuit prochaine.
Dans soixante ans, elle frémira toujours, instinctivement, au son des sirènes.
Et elle ne pourra pas regarder la télévision, voir ces hommes et ces femmes d’Irak ou d’ailleurs écrasés sous les bombes, sans se souvenir des horreurs qu’elle a vécues, de celles que son père a vécues.
C’est la guerre.
Le bruit, la fumée, les incendies, la mort, la ruine et le désespoir.
Il n’y a pas de guerre propre.
Il n’y a que des guerres perdues ou gagnées.
Elles le sont par des peuples qui ont décidé de gagner, qui se mobilisent contre un ennemi commun, identifié et nommé.
Le boche de 1914.
Le SS de 1944.
Le « jeune » de 2016 qui fait de son pays un terrain d’affrontement entre la liberté et les ténèbres islamistes.
Il paraît que certains avocats s’apprêtent à solliciter un préjudice d‘angoisse pour les victimes du Bataclan.
Une indemnisation pour l’angoisse terrible qu’elles ont subie, avant de mourir ou de rester, par miracle, en vie.
Qu’en penseraient les poilus de 14 ?
Qu’en penseraient les civils désarmés sous les bombes de mai 44 ?
Sans doute qu’on ne gagne pas une guerre en faisant indemniser sa peur, mais en décidant de se battre, de tenir, et de crier « We shall never surrender! »
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