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jeudi 27 février 2014

Se préparer à l'après-euro.

 Par Jean-Marc Vittori | 25/02


Se préparer à l\'après-euro
 
La zone euro semble traverser des eaux plus calmes. Mais aucun de ses problèmes n'est réglé. Sur fond de croissance lente, le statu quo ne peut pas s'éterniser : il faudra approfondir ou démanteler. Or l'adhésion faiblit.

Il est des messages que l'on ne délivre pas avec joie : l'euro a moins d'une chance sur deux de survivre.
Il est donc temps de songer à l'après-euro.
 Le message peut sembler paradoxal.
 La monnaie commune paraît aujourd'hui sauvée.
 Après la plus grave crise de sa jeune histoire, les indicateurs se remettent au vert.
 L'activité est repartie fin 2013, plus fort qu'on ne le croyait.
 L'Etat emprunte à 3,5 % en Espagne comme en Italie, pratiquement deux fois moins cher qu'il y a deux ans.
 L'euro approche de 1,40 dollar, son change le plus élevé depuis 2011.
Mais, au fond, rien n'est réglé.
La zone euro reste enfermée dans un cercle vicieux.
La dette des particuliers, des entreprises, des Etats restera trop lourde dans les années à venir face à une croissance trop lente pour rembourser sans peine et une inflation trop faible pour éroder la montagne.
Il faut donc profiter du répit actuel pour se préparer à la suite des événements.

 La croissance trop lente réveille les vieux démons.
 En Italie, en Autriche, en Allemagne, en Finlande, en France, bien sûr, des partis politiques très différents les uns des autres prospèrent sur une idée commune : la vie serait plus belle sans l'euro - et au-delà, sans l'Europe.
 Ils vont sans doute obtenir un succès éclatant aux élections européennes de juin.
 Selon les pointages des experts de Deutsche Bank sur le prochain Parlement européen, un député sur six, voire un sur quatre, appartiendra à la mouvance anti-européenne.
Ce vote-condamnation prend racine dans un chassé-croisé de souvenirs.
D'abord, la génération de la guerre s'efface, et avec elle le sentiment d'une impérieuse nécessité : l'entente entre pays voisins.
Ce n'est pas faire injure à Helmut Schmidt et à Valéry Giscard d'Estaing de dire que l'essentiel de leur oeuvre est désormais derrière eux.

L'Europe contre les peuples

Ensuite, la génération de la crise s'affirme, et avec elle la mémoire d'une cruelle évidence : l'Europe en a été la béance.
 Ce sont les nations qui ont sauvé banques et industries.
 Les dirigeants de la Commission ont disparu de la scène pendant le drame.
Après, ils ont réapparu en une étrange trinité, avec le FMI et la Banque centrale européenne (la troïka), donnant des conseils d'étouffement qu'il a fallu ensuite inverser pour sauver ce qui pouvait l'être.
Difficile de faire mieux pour donner corps à l'idée d'une Europe contre les peuples.
 Une idée de surcroît alimentée par les gouvernants nationaux, qui partent sans cesse «  en guerre contre Bruxelles » - en France à propos des OGM ou de la réforme bancaire, pour prendre des exemples récents
La langueur persistante de la croissance fera le reste, dans un continent où un actif sur huit est au chômage.
La Banque centrale européenne, dont le président, Mario Draghi, a pourtant promis qu'elle ferait «  ce qu'il faudra » pour sauver la monnaie commune, n'y pourra pas grand-chose.
 Non seulement la politique monétaire n'est pas un outil très efficace pour doper l'activité, mais, de plus, le très subtil arrêt rendu début février par la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe lui coupe les ailes.
Dans cette drôle d'Union monétaire sans solidarité budgétaire, le statu quo ne peut pas s'éterniser.
 Il faudra choisir entre l'approfondissement … ou le démantèlement.
En attendant, les tensions vont fatalement monter.
 Au fil des mois, l'idée d'une « sortie de l'euro » va gagner du terrain.
 Mais l'euro n'est pas un club ou un pub d'où l'on sort à volonté.
Le départ d'un pays fera exploser la monnaie unique.
 Maints économistes ont certes imaginé des systèmes séduisants sur le papier - les euros sud et nord du professeur du CNAM Christian Saint-Etienne, les sorties temporaires proposées par le président de l'institut allemand IFO Hans-Werner Sinn.
Sauf que… ces systèmes ne tiendraient pas une journée sur les marchés financiers, où des centaines de milliards seraient aussitôt placés pour gagner de l'argent sur le prochain mouvement.
 Là aussi, un autre souvenir semble s'être estompé : celui des tempêtes monétaires qui ont soufflé sur l'Europe jusqu'au début des années 1990.
Dans cette rupture, la France pourrait hélas jouer les premiers rôles.
   Un tiers de ses habitants souhaitent désormais le retour au franc.
La tentation du repli y apparaît partout.

Jusqu'à… la Française des Jeux , qui a renationalisé début février l'Euro Millions !
 A chaque tirage du Loto européen, elle promet «  un millionnaire garanti en France ».
 Plus profondément, l'économie du pays a longtemps été droguée aux dévaluations qui compensaient sa dérive des salaires et des prix - un problème toujours pas résolu.
Et les gouvernants de gauche - comme auparavant ceux de droite - enchaînent les « chocs » sans jamais parvenir à retrouver le chemin de la croissance.
   Christopher Pissarides a mis les pieds dans le plat le mois dernier.
Ce prix Nobel d'économie 2010, qui avait été l'un des rares Britanniques partisans de l'entrée du Royaume-Uni dans l'euro, a dit tout haut dans le quotidien « The Telegraph » ce que nombre d'experts pensent tout bas à Paris : « [En cas d'échec de vraies réformes en France], je serais très inquiet de ce qui arriverait à l'euro. »
 
L'éclatement de l'euro aurait des conséquences incalculables.
Il remettrait en question la construction communautaire entamée il y a maintenant plus de soixante ans.
 Ce n'est heureusement pas une certitude.
 Il faut revenir ici au latin, à un vieil adage paraphrasé après un appel lancé sur Twitter par votre serviteur.
Le précis Merlin Caesar propose : «  Si vis euro, para mortem ejus. » - « Si tu veux l'euro, prépare sa mort. » Le moins orthodoxe Monteno avance : «  Si vis euros, para chaos. »
Jean-Marc Vittori
Jean-Marc Vittori est éditorialiste aux « Echos ».

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