Publié le 24 février 2014 à 16:00
Kiev, Caracas, Nantes : trois poids, trois mesures.
On pourrait imaginer un David Pujadas ukrainien ou une Claire Chazal vénézuélienne.
Ils rendraient compte dans leur JT d’un événement scandaleux arrivé en France, d’une atteinte grave à la démocratie dans un pays qui s’enfonce dans la crise et flirte avec la dictature.
Résumons : une manifestation pacifique de trente mille personnes, soutenue par des élus de toutes tendances confondues, de l’UMP au Front de gauche en passant par les partis gouvernementaux, s’oppose à la construction d’un aéroport, et ce depuis des années.
Ce jour là, 520 tracteurs, venus de tous les départements limitrophes ont été comptés, deux fois plus que le 24 mars 2012 à Nantes.
Cela marque une implication massive du monde paysan.
Il y a 63 bus venus de toutes les régions de France, deux fois plus encore que lors de la chaîne humaine.
C’est le signe d’une mobilisation nationale et de la rencontre entre Notre-Dame-des-Landes et d’autres luttes contre les grands projets inutiles et imposés.
Cette manifestation était encadrée par un dispositif policier digne d’une dictature, qui cherchait manifestement la provocation : la préfecture avait choisi de mettre Nantes en état de siège et d’empêcher la manifestation d’être visible.
Ainsi, c’est la première fois dans l’histoire des manifs nantaises qu’on interdit à un cortège d’emprunter le Cours des 50 Otages.
Une partie de la manif est passée par l’île Beaulieu.
Une autre a essayé de passer par le trajet initialement prévu et a fait face à une répression policière violente avec tir de flashball, gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes.
Il y a des photos des blessés, si vous voulez.
Cela n’a pas empêché les manifestants de rester en masse dans les rues de Nantes jusqu’à la fin.
Mais la manif se transforme en émeute car de courageux jeunes gens ne supportent pas cet acharnement du pouvoir à aménager de manière délirante tout un territoire pour satisfaire un géant de la construction et de l’exploitation des autoroutes comme Vinci.
Malgré une police qui charge sans pitié, ces beaux héros de la liberté, se souvenant que Nantes est aussi la ville fétiche des surréalistes et de Jacques Vaché, grands poètes de la révolte totale, s’en prennent à des symboles qui incarnent leur malheurs comme des édifices représentant cet Etat qui cède devant les oligarques ou des succursales de Banque et même de ce Vinci honni.
Le public de notre Pujadas ukrainien et de notre Chazal vénézuélienne (le contraire si vous voulez) s’émeut.
C’est beau la liberté en action contre ces pouvoirs usés avec légitimité électorale si fragile comme le prouvent leurs sondages calamiteux.
Le ministre de l’Intérieur français se livre le lendemain à un grand classique dans la délégitimation et la disqualification des héros de la liberté, peu ou prou assimilés à de potentiels terroristes de l’ultragauche qui ont appris leur savoir-faire auprès d’éléments étrangers et cosmopolites.
Où va la France, on se le demande.
L’ALBA demande des explications, l’ONU s’inquiète, le gouvernement ukrainien propose une médiation.
Voilà où on en est arrivé.
Bref, on l’aura compris, les émeutes, c’est toujours mieux chez les autres.
Depuis des semaines et sans le moindre sens critique à l’image du Petit journal de Canal + fidèle à sa tradition bobo antiprolo, s’extasie sur des étudiants vénézuéliens de la haute-bourgeoisie qui veulent faire tomber un gouvernement réellement socialiste, celui-là, avec la bienveillance américaine, le soutien inconditionnel du patronat local qui avait déjà tenté un putsch contre Chavez en 2002 et l’aide de milices paramilitaires générée par une opposition, le MUD dont on dit qu’elle commence au centre gauche en oubliant surtout qu’elle est majoritairement d’une droite très dure, tout cela rappelant furieusement une fin d’été à Santiago du Chili, en 1973.
Et on applaudit carrément au retour au pouvoir de Ioulia Timochenko, plus corrompue qu’un élu municipal de Chicago à l’époque de Capone, tout ça parce qu’elle est la candidate de l’UE et de l’OTAN alors que l’autre brigand était celui de Poutine.
UE et OTAN assez peu regardants, au demeurant, sur les groupes néonazis et antisémites qui ont remplacé les forces de l’ordre après les avoir combattues.
On aura beau dire, les émeutiers, nos politiques, nos médiatiques et nos intellectuels de garde adorent ça à Caracas et à Kiev, mais à Nantes, non.
Sans doute parce que chez nous, tout va tellement bien que la jeunesse n’a aucun intérêt à se révolter et de renvoyer à la gueule du pouvoir sa violence diffuse et constante.
*Photo : Rodrigo Abd/AP/SIPA. AP21530415_000001.
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