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mercredi 2 avril 2025

«Donald Trump renvoie l’Europe bisounours à la réalité de son égarement écologique»


 «En matière de CO2, l’électricité charbonnière est concentrée dans douze pays pesant à eux seuls pour 68% des émissions mondiales»

Par Philippe Charlez et Nicolas Meilhan

 

En se retirant pour la seconde fois de l’accord de Paris, Donald Trump ne fait qu’entériner la mort administrative d’un traité mort-né.

 Voici deux semaines, en annonçant que l’année 2024 était la première à avoir dépassé les 1,5°C, le site européen Copernicus en avait déjà signé le certificat de décès scientifique.

Principal fruit de la COP 21 de 2015, cet accord avait enthousiasmé tous les grands de la planète réunis au Bourget pour la bonne cause. Il faut malheureusement reconnaître qu’après dix années d’application, le compte n’y est vraiment pas : les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter régulièrement et les consommations de pétrole, de gaz et de charbon continuent de battre des records année après année. L’étiologie de ce dramatique échec est multifactorielle. Les pays émergents, qui représenteront à l’horizon 2050 90% de la population de la planète, veulent légitimement continuer de se développer principalement à l’aide des énergies fossiles tandis que la nouvelle logique de blocs (BRICS, Europe et États-Unis) pousse à la confrontation plutôt qu’à une coopération multilatéraliste, espérée après la chute de l’Union soviétique.

Quant au business vert européen (voitures électriques, batteries, électrolyseurs, pompes à chaleur, éoliennes, panneaux solaires) qui devait générer des millions d’emplois, c’est un malade en phase terminale. Sous perfusion publique, ses trop faibles rendements économiques (inférieur à 5%) font fuir la plupart des investisseurs. Continuant de défendre un morbide pacte vert à la fois irréaliste, injuste, insoutenable et inutile, l’Europe est en train de se suicider sur l’autel de la vertu, conduisant à la faillite d’une industrie déjà moribonde.

Ainsi, le secteur automobile, jadis fleuron de l’économie européenne, se saborde lentement mais sûrement avec à la clé ses treize millions d’emplois. Quant aux grands groupes énergétiques, ils quittent le navire des renouvelables et retournent massivement vers les fossiles, s’assurant des rendements supérieurs à 15%. En 2025, les investissements dans le pétrole et le gaz devraient atteindre 1250 milliards de dollars, soit le deuxième plus haut historique après 2015.

On peut abhorrer la personnalité de Donald Trump et ses excès oratoires. Il n’empêche qu’en signant ce décret une demi-heure après son investiture, il renvoie implicitement à l’Europe la réalité d’un égarement écologique en «Trump -l’œil». Si les émissions territoriales du Vieux continent ont baissé de 30% depuis 1990, cette contraction vient en grande partie de la délocalisation de son industrie lourde. Pour preuve, l’empreinte carbone (émissions territoriales + émissions importées) de la France n’a quasiment pas baissé depuis 2015, à environ 9,3 tonnes de CO2 par habitant.

L’Europe doit revoir de fond en comble son logiciel climato-économique, tant vis-à-vis des États-Unis et des BRICS que d’elle-même Philippe Charlez et Nicolas Meilhan

D’autant que depuis sa rupture énergétique avec la Russie de Poutine, l’Europe se drogue au gaz (de schiste) naturel liquéfié américain, vendu cinq fois plus cher en Europe qu’aux États-Unis.

On aurait pu légitimement attendre que le nouveau locataire de la Maison-Blanche fasse preuve d’un peu de mansuétude vis-à-vis de son meilleur client. Mais rien n’arrête Trump ! Considérant que l’Europe ne lui achète pas suffisamment de voitures et de denrées agricoles, il a décidé d’assujettir à hauteur de 20% les importations européennes. Certes inférieure aux 60% qu’il souhaitait appliquer aux denrées chinoises, cette taxe devrait particulièrement impacter l’industrie française du luxe qui exporte massivement aux États-Unis.

La présence de Bernard Arnault à la cérémonie d’investiture n’y a rien fait : le Moët & Chandon et les sacs Vuitton seront surtaxés. Face à cette double attaque climatique et économique mais aussi face à l’impasse de sa transition avortée, l’Europe doit cesser de jouer aux bisounours et revoir de fond en comble son logiciel climato-économique, tant vis-à-vis des États-Unis et des BRICS que d’elle-même.

En matière de CO2, l’électricité charbonnière (75% de la consommation mondiale de charbon et un tiers des émissions mondiales) est concentrée dans douze pays pesant à eux seuls pour 68% des émissions mondiales. Aussi, pour résoudre cette quadrature du cercle entre transition écologique en panne et rétorsion économique, nous proposons d’imposer à l’entrée du territoire européen une TCI (taxe sur le charbon importé) sur tout produit provenant d’un de ces douze pays, correspondant à la part de ce produit fabriquée avec du charbon.

L’indicateur pertinent pour déterminer la TCI est donc la part d’électricité à base de charbon dans le mix électrique. Ainsi, 61% de l’électricité chinoise provient du charbon ; c’est 84% pour l’Afrique du Sud, 71% pour l’Inde et 20% pour les États-Unis. La TCI est alors simplement calculée en multipliant cette part charbonnière par la valeur totale des importations et correspondrait au niveau de taxes que Trump souhaitait appliquer aux importations européennes.

Pour l’année 2023 cette TCI aurait apporté au seul État français 80 milliards d’euros, dont plus de la moitié sur les importations chinoises. 80 milliards d’euros, ce sont 3% du PIB, 8 points de TVA sociale et presque l’équivalent d’impôt sur le revenu . Ce serait aussi un levier inédit pour revenir sous la barre des 3% de déficit public en un coup de baguette magique, et ce sans augmentation des taxes déjà trop élevées pesant sur nos entreprises et nos concitoyens.

Grâce à son taux élevé et son assiette étroite — elle n’affecte qu’un nombre limité de produits (aucun produit français ni européen, aucun pays étranger hors club charbon) — la TCI s’avère très efficace. Dans la mesure où elle s’applique sur la valeur importée et non sur la valeur vendue, elle impacte peu les prix à la consommation étant donné qu’une grande partie voire la totalité de la taxe devrait être absorbée par la marge, souvent exorbitante, du revendeur. Renchérissant de façon significative les prix de certains produits étrangers « made in charbon », la TCI rendrait les produits européens plus compétitifs. Elle inciterait donc les Européens à consommer à la fois local et moins carboné. Enfin, la mesure encouragerait les pays tiers à déplacer leur électricité charbonnière vers d’autres sources d’énergie moins polluantes (gaz, nucléaire, renouvelables). Ce qui, in fine, ferait baisser les émissions mondiales de CO2.

Son application entraînerait inévitablement de la part des membres du club charbon des mesures de rétorsion à l’exportation des biens et services européens. Et sur ce point, toutes les nations ne sont pas sur un pied d’égalité : certaines comme l’Allemagne ont une balance commerciale largement excédentaire tandis que d’autres comme la France sont fortement déficitaires. De surcroît, les exportations hexagonales (luxe, vins, spiritueux, fromages) peu interchangeables mettraient clairement la France en position de force. Aussi les sirènes négatives pourraient dans un premier temps davantage venir de Berlin que de Pékin ou Washington. L’Europe pourra-t-elle réellement jouer solidaire pour éviter sa tiers-mondisation ? Rien n’est moins sûr.

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