J’ai vécu un quart de siècle à Paris (de 1972 à 1998), j’y ai naturellement gardé quelques amis — du moins le croyais-je.
Mais depuis dimanche soir, me voici banni de leurs relations : que je me réjouisse de l’échec (relatif, malheureusement) de ce Front populaire qui n’est jamais qu’un faux-nez de LFI a suffi pour me rayer de la liste de leurs amis d’abord, et des vivants ensuite.
J’ai beau savoir que depuis trente ans (au moins) la gauche est dans le déni, cela fait toujours quelque chose, quand des gens que je croyais intelligents décident de fermer les écoutilles et de se renfermer dans leurs certitudes de bobos dominateurs et sûrs d’eux.
En quittant Paris, je me suis installé dans un village minuscule, Nébian (un millier d’habitants à l’époque), au milieu des vignes de l’Hérault. Déjà dans les années 2000 le FN était le parti préféré de ces agriculteurs pauvres, petites gens qui vivent avec 500 € par mois.
Provinces contre ville irréelle
Il n’y avait qu’un immigré à Nébian, un ouvrier agricole parfaitement intégré, fort apprécié, doté de deux enfants très bien élevés. Ce n’est pas la peur de l’étranger qui hier dimanche a poussé 48,88% de la population de la cinquième circonscription de l’Hérault, jadis partie de la ceinture viticole communisante, à voter RN. Ni la croyance aux lendemains qui chantent : ils savent très bien que les promesses des uns ne valent pas mieux que les mensonges des autres.
Non, ce qui les pousse, eux et tous ceux qui, dans la « France périphérique », selon la belle expression de Christophe Guilluy, à voter droite nationale, à donner leurs suffrages aux représentants d’un parti bien moins extrémiste et antisémite que les gauchistes de Mélenchon, c’est la nécessité de faire entendre, justement, leur voix.
Il y a déjà presque une dizaine d’années, j’avais prévenu, d’abord dans les pages du Point, puis sur Causeur, où j’expliquais que Lalbenque (dans le Lot) est une bourgade bien plus réelle que la capitale : Paris est une ville qui n’existe pas. C’est une fiction. Une ville-monde, comme disent les géographes et les petits prétentieux qui l’habitent, et se croient d’une essence supérieure parce qu’ils roulent en trottinette électrique en zigzagant entre les passants. Ô souvenir gracieux de mon poing sur le visage de l’un de ces énergumènes qui m’avait violemment bousculé, il y a un an ou deux ! Ils existent si peu qu’ils ont réélu du premier coup des ectoplasmes notoires comme Aymeric Caron et Sandrine Rousseau, risée de la France entière. La vraie France, qui roule au diésel parce que c’est moins cher et fait des barbecues parce que c’est meilleur.
Il y a une France qui mange des grillades au lieu de se consacrer au fooding entre deux cours de yoga, et qui consomme des fromages qui révulsent les commissions européennes. Une France qui se désole de voir, chaque jour, ses enfants revenir de l’école plus ignares qu’ils n’y sont entrés. Une France qui n’a pas cru aux gloussements de pintade de Jack Lang, ni aux réformes de Vallaud-Belkacem, l’initiatrice des cours d’arabe pour les tout-petits. Une France de villages et de clochers qui récuse l’érection de minarets. Une France qui a une fois pour toutes jaugé le PS en entendant Lionel Jospin lancer, en 1990 : « Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse, à moi, que la France s’islamise ? ». Ce même Jospin qui par la loi votée l’année précédente avait institué les pédagogies les plus anti-sociales — car l’élève qui construit lui-même ses propres savoirs, ça ne vaut que lorsque les savoirs familiaux peuvent compenser l’enseignement de l’ignorance, comme dit Jean-Claude Michéa.
Démocratie à sens unique
Ce sont des gens de gauche qui ont institué l’école à deux vitesses, tout en feignant de déplorer que tant de petits pauvres restent analphabètes, et, à terme, analphacons — grâce à eux ! Des gens de gauche qui inondent le rectorat de Paris de demandes de dérogation pour que leur HPI de fils aillent à Victor-Duruy plutôt qu’à Maurice-Ravel. Des bien-pensants qui, puisant dans le vieux fond antisémite de la gauche, brandissent des drapeaux palestiniens, se coiffent de keffiehs siglés Louis Vuitton (et qui n’ont été retirés de la vente que sous l’accusation d’appropriation culturelle…) et s’apprêtent à mettre le pays à feu et à sang, par Blacks Blocs interposés, si le résultat du 7 juillet ne leur convient pas… La démocratie est selon eux à sens unique : toute majorité qui ne les encense pas est forcément fautive. Malade. Dégénérée.
Cette France-là s’était déjà exprimée lors de l’épisode des gilets jaunes, qui avaient été à deux doigts de prendre l’Elysée. Elle appuie désormais un Jordan Bardella à deux doigts de prendre Matignon. Non qu’elle pense qu’il renversera la table : ils savent bien que l’essentiel de la politique française se fait à Bruxelles — ou, à la rigueur, à la Bourse, qui a d’ailleurs accueilli d’une remontée significative des cours le score du RN.
Dimanche prochain, la France moisie de la gauche moisie doit être balayée pour le compte. Il faut montrer à tous ces bobos satisfaits que la démocratie est une épée à deux tranchants. Et, éventuellement, leur rappeler que la République de 1793 risque de renaître des cendres froides d’une histoire que l’on n’apprend plus.
Car enfin, l’épouvantail anti-Le Pen (un parti né de la Waffen SS et de la guerre d’Algérie, tissé de ratonnades et d’OAS, un héritage de Tixier-Vignancour) ne fonctionne pas : grâce à des programmes d’Histoire toujours plus faméliques, plus personne ne connaît ces gens-là. Mais les électeurs de Bardella savent bien qui sont les coqs arrogants, les orateurs vociférants, les antisémites véritables, les suppôts de l’islam et les fourriers des Frères musulmans, tous ces petits prétentieux bouffis d’orgueil qui les prennent pour des imbéciles parce qu’ils habitent la capitale.
Je suggère à mes « amis » de méditer cette formule du Cardinal de Retz à propos des peuples : « On les doit compter pour beaucoup, toutes les fois qu’ils se comptent eux-mêmes pour tout. (…) Car on peut dire avec vérité qu’à la différence de toutes les autres sortes de puissance, ils peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu’ils croient pouvoir. »
Pour demander des comptes à ceux qui n’en rendent jamais, il faut d’abord les balayer.
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