Ce dimanche 4 février, des internautes ont accusé l'Élysée d'avoir "vendu" une technologie française.Cette technologie qui nous aurait permis "d'assurer notre souveraineté énergétique" aurait été concédée à Bill Gates.Il s'agit d'un raccourci trompeur.
"L'État profond" continuerait d'agir à l'encontre des intérêts des Français.
C'est ce que pensent les internautes qui partagent cette idée, tout droit venue de la sphère complotiste américaine, selon laquelle il existerait une entité supérieure qui détiendrait le pouvoir décisionnel sur la société.
Dernier exemple en date, ce fameux groupe secret aurait poussé Emmanuel Macron à "vendre une technologie qui nous aurait permis notre souveraineté énergétique à Bill Gates". Sur quoi repose cette accusation complotiste ?
Pour en savoir plus, nous avons retrouvé la source de cette rumeur. Selon nos recherches, elle s'appuie sur une vidéo diffusée par "AgoraTV". Le 3 octobre dernier, cette chaîne suisse complotiste publie une vidéo sur la plateforme "Odysee", qui héberge l'ensemble de la sphère de la désinformation. Intitulée "suicide énergétique et haute trahison", elle s'appuie sur plusieurs prises de parole dans les médias au sujet du projet de prototype de réacteur nucléaire baptisé Astrid. Entretenant le flou, l'auteur de la vidéo conclut en assurant que la France a "abandonné un projet extrêmement vertueux avant de laisser les États-Unis et Bill Gates reprendre le projet". Une prise de parole aux accents complotistes, qui mélangent plusieurs informations.
Astrid, un projet abandonné en 2019
Astrid, c'est bien l'acronyme de ce réacteur de quatrième génération porté par la France. Le projet, qui avait la particularité de s'appuyer sur un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, a été porté par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dans les années 2010. Avant de s'arrêter en 2019, soit sous la présidence d'Emmanuel Macron.
Alors que s'est-il passé ? Pour rappel, l'intérêt de cette technologie – comme Phénix et Superphénix avant elle – résidait dans la possibilité de démontrer qu'il était possible d'utiliser efficacement le cycle nucléaire, en recyclant le plutonium et en valorisant l'uranium. Une idée prometteuse, mais qui a dû faire face à des arbitrages. L'an dernier, une commission d'enquête parlementaire a justement cherché à établir les raisons de l'arrêt de ce projet Astrid. À travers le rapport, publié le jeudi 30 mars, les différents acteurs citent plusieurs arguments. Le premier est financier : le "niveau des dépenses" pour ces recherches était jugé trop élevé (1,2 milliard d'euros) par rapport au faible cours de l'uranium. Le second était stratégique : abandonner l'objectif de recycler le combustible au bénéfice d'un renforcement des travaux sur le multirecyclage en réacteur à eau pressurisée.
Le projet Astrid a donc été arrêté. Mais Emmanuel Macron n'était pas le seul décisionnaire, comme le relève ce rapport. Le dossier a d'abord été mis en pause pendant le quinquennat de François Hollande, avant de passer dans les mains de plusieurs ministres de l'Environnement (Nicolas Hulot, François de Rugy puis Elisabeth Borne). Il a fini par être définitivement enterré par le gouvernement en 2019 après "un examen approfondi des priorités du CEA, d'une consultation des acteurs de la filière et d'un conseil de politique nucléaire".
Il est aussi important de noter que la France n'a pas "vendu" cette technologie. Les chercheurs français possèdent toujours ces travaux, qu'ils continuent de faire fructifier. Auditionné par la commission d'enquête, le CEA explique en effet qu'un important travail de formalisation, de mise en ordre et de capitalisation de la connaissance a été effectué "et que la recherche se poursuit" avec une équipe de 135 personnes.
Bill Gates entre dans la course aux réacteurs à neutrons rapides
Si Astrid n'a pas été vendue, alors quel est le rapport avec Bill Gates ? Le milliardaire américain a bien annoncé en juin 2021 que
l'une de ses entreprises, TerraPower, projetait de construire un
prototype similaire aux États-Unis. Si son projet, baptisé Natrium,
consiste lui aussi à associer un réacteur nucléaire à neutrons rapides
refroidi au sodium, il devrait toutefois être d'une échelle bien
inférieure à Astrid. Il délivrera une puissance de 350 MWe contre 600
pour le français. Pour ce faire, le fondateur de Microsoft pourra
notamment compter sur des financements du ministère américain de
l'Énergie, qui lui a accordé un financement initial de 80 millions de
dollars. Une décision de la part du patron de cette entreprise, qu'il
dirige depuis sa création en 2006, qui a forcément attiré l'œil des
complotistes, dont il est régulièrement la cible.
Par ailleurs, il est à noter que la France n'était pas la seule à
travailler dans ce domaine. En 2019, elle faisait partie du peloton de
tête avec la Russie, la Chine, l'Inde et les États-Unis.
En résumé, Emmanuel Macron n'a pas été seul à enterrer le projet Astrid
et surtout, il n'a pas vendu ce prototype à Bill Gates. Reste qu'il est
vrai que dans la dernière décennie, la France a réduit son avancée dans
la recherche nucléaire, laissant des entreprises privées s'engouffrer
dans la course aux réacteurs à neutrons rapides. Si bien que certains de
leurs fondateurs se présentent désormais comme "les enfants d'Astrid".
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