“Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.”
C’est à Jacques Chirac que l’on doit cette tirade, lancée en 1987 en marge du sommet de Copenhague alors que François Mitterrand, président de la République, venait de critiquer son Premier ministre. Une phrase qui n’avait toutefois pas été prononcée en public.
Voilà qui est fait puisque Emmanuel Macron vient de reprendre ladite formule chargée en testostérone pour afficher son indifférence concernant l’affaire dite Uber Files.
Ou comment un chef d’État est en train d’en plagier un autre sans pouvoir pour autant égaler la truculence de son prédécesseur qui, par bien des aspects, préférait certainement les gauloiseries réfractaires aux surprises-parties en maillot résille. Sur ce coup-là, nous pouvions espérer un peu plus d’imagination, une certaine répartie empruntée aux cimaises de la langue française, de la part de celui qui sollicitait Lucchini, le soir tombé, pour lui lire Jean de la Fontaine du côté de Bercy. Bercy, justement où, alors qu’il était ministre de l’Économie, l’actuel locataire de l’Élysée a, de toute évidence et avant celles de McKinsey, cédé aux sirènes d’Uber afin de faire assouplir le cadre juridique règlementant l’implantation de cette entreprise sur le sol français.
Une implication ministérielle qui vint étayer l’action nationale et internationale des réseaux d’influences mis en place pour soutenir l’entité américaine, connue pour ses applications mobiles favorisant le contact entre usagers et conducteurs dans le domaine des transports sous la dénomination de VTC, voiture de tourisme avec chauffeur. Un concept mondialisé, considéré par les professionnels du taxi comme étant une concurrence déloyale au regard des réglementations multiples auxquelles les professionnels de ce secteur doivent se plier.
Des taxis qui, l’on s’en souvient, avaient manifesté leur mécontentement à de multiples reprises, tout en dénonçant une forme de travail dissimulé. Mais également un statut empirique qui, à l’instar de celui de l’auto-entrepreneur, est exonéré de nombreuses contraintes administratives et juridiques. D’où le terme “ubérisation” employé, depuis, à l’avenant dès qu’il faut désigner le marché de l’économie à la tâche dans des domaines tout aussi variés que peuvent l’être l’hôtellerie avec Airbnb et Booking, celui du transport avec Uber bien sûr mais aussi Blablacar et Drivy ou encore, concernant la livraison de plats cuisinés, avec Ubereats ou Deliveroo.
Les critiques et les actions en justice ont beau fleurir aux quatre coins de la planète depuis la création de ce concept, où l’économie collaborative vient chasser sur les arpents de l’économie dite réelle, il n’en demeure pas moins un engouement croissant pour ceux qui cherchent un complément de revenu, souhaitent se reconvertir ou gagner en autonomie. Des avantages très relatifs quand on considère la précarisation que peut susciter ce type d’emploi au rabais dans un contexte où le droit du travail est régulièrement contourné ou bafoué.
“On va bientôt danser…”
Résultats des courses, l’enquête conduite par un consortium international de journalistes d’investigation a permis de consulter plus de 124 000 documents transmis par un ancien responsable du lobbying d’Uber. Lequel a révélé la stratégie d’influence mise en place par cette entreprise pour convaincre les dirigeants de nombreux pays et faire évoluer la législation en sa faveur.
États-Unis, Belgique, Afrique du Sud, Pays-Bas, Royaume-Uni… Nombreux sont les pays cités dans cette enquête. Pour la France, le nom d’Emmanuel Macron, qui avait “omis” d’inscrire ses rencontres avec les dirigeants d’Uber sur son agenda officiel, est évoqué. Des rencontres de toute évidence fructueuses pour Uber. À l’issue d’une d’elles le lobbyste écrit : “En un mot : spectaculaire. Du jamais vu. Beaucoup de boulot à venir, mais on va bientôt danser !” S’en suit un décret pris par le préfet de police de Marseille qui veut interdire Uber. Le lobbyste en chef envoie un SMS à Macron qui promet de “regarder ça personnellement”. Quelques jours plus tard, le décret est supprimé…
Uber qui, comme le précisait Capital en 2021, acquitte très peu d’impôt dans l’hexagone avec des dividendes qui transitent par les Pays-Bas. S’en suit un empilement de sociétés et de montages juridiques qui permettent certaines optimisations fiscales, sachant que la multinationale est parvenue à réduire l’impôt payé outre-Atlantique en installant sa maison mère dans le Delaware, État réputé pour être un paradis fiscal.
Bon, pas de quoi en bousculer une pour faire bouger l’autre, diront celles et ceux qui prônent le libéralisme décomplexé. Mais tout de même, pour un ministre de la République responsable du Trésor, “pourquoi” encourager les pratiques de ceux qui, sur le dos du contribuable français, sabotent impunément le boulot et se font des couilles en or ?
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