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Le Point.fr - Publié le
Si nos médecins peuvent se targuer d'une excellente réputation internationale, la hausse des dépenses pour les patients étrangers inquiète. Décryptage.
"Notre système de soins est le meilleur au monde !Il n'est pas étonnant que l'on vienne de loin pour en bénéficier...
Les Sénégalais débarquent en charter à Roissy pour suivre une chimiothérapie à l'hôpital Saint-Louis, les Chinois viennent se faire enlever la prostate, les insuffisants rénaux des pays de l'Est affluent en car pour profiter d'une dialyse...
Et qui finance tout ça ? La France."
Si le Dr Didier Legeais, chirurgien urologue à Grenoble et vice-président de l'UCDF (Union des chirurgiens de France), affirme ne jamais refuser de soigner un patient, quelle que soit sa nationalité, il déplore que les pays d'origine ne prennent pas en charge ces opérations, souvent extrêmement coûteuses.
"Que les étrangers réclament nos compétences, c'est une excellente nouvelle, argue-t-il.
Mais que les Français financent la santé de leurs voisins, n'est-ce pas stupéfiant ? Notre pays est devenu une véritable vache à lait médicale."
Il n'est d'ailleurs pas seul à dénoncer les dérives de l'AME (Aide médicale d'État), qui permet depuis le 1er janvier 2000 à tout individu en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois de bénéficier du même accès aux soins que n'importe quel Français.
À l'Assemblée nationale, c'est le député UMP de Paris Claude Goasguen qui jette un pavé dans la mare avec son rapport sur le projet de loi de finances de 2014 relatif à la santé.
"Le système actuel de l'AME est totalement à bout de souffle", haranguait-il début novembre dans l'hémicycle.
"Des adaptations marginales ne suffiront pas ; il convient de repenser globalement le dispositif en s'interrogeant sur sa philosophie même."
"Pourquoi se priver ?"
En cause, la "philosophie de supermarché", dénoncée par de nombreux médecins, où l'on se porte candidat à une greffe "comme l'on fait la queue chez le boucher".Pour bénéficier de l'AME, soit de la prise en charge à 100 % des soins médicaux et d'hospitalisation sans avoir à avancer les frais, il suffit de justifier d'une résidence ininterrompue de trois mois en France et d'un revenu inférieur à 634 euros par mois. "C'est très facile, confie Mounia, Marocaine de 32 ans, à la veille d'une opération de l'appendicite.
Vous pensez bien qu'on ne laisse pas dans la rue ceux qui ne remplissent pas les critères.
Les soins sont gratuits, alors pourquoi se priver ?
Certains en profitent pour dépenser quelques milliers d'euros en chirurgie esthétique ou pour des opérations qui ne relèvent plus de l'urgence..."
Résultat, au chapitre des dépenses, de janvier à septembre, l'AME aurait déjà coûté 613 millions d'euros, ce qui revient à 818 millions en 2013, contre 700 millions les années précédentes (+ 16,4 %). "Et même 897 millions, calcule Claude Goasguen, si l'on inclut la perte de recettes liée à la réforme de tarification voulue par le gouvernement Ayrault."
Les bénéficiaires de l'AME, "ce sont 500 000 personnes, avance le Dr Legeais, et un déficit d'un 1,7 milliard payé par l'État français pour les seuls soins des non-cotisants." À gauche comme à droite, on en appelle à davantage de contrôle et de transparence.
Il faut dire qu'autour des chiffres du dossier AME le flou demeure.
Claude Goasguen, en qualité de rapporteur spécial de la commission des Finances, dénonce "des chiffres très incomplets".
"Il n'est pas acceptable qu'un ministre de la République ne transmette pas les informations demandées par le Parlement afin d'éclairer son vote sur le budget.
Faut-il en déduire que le gouvernement cache des chiffres et la vérité aux Français ?" s'est interrogé le député en remettant son rapport.
Parmi les incohérences pointées du doigt, la Guyane pose particulièrement problème. Le département déclare à lui seul plus de 17 000 bénéficiaires de l'AME, majoritairement originaires du Suriname.
Mais pour Goasguen, la réalité se situe bien au-delà.
Citant la chambre régionale des comptes, il estime localement "la population immigrée en situation irrégulière entre 30 000 et 35 000 personnes".
Certes, tous les immigrés en situation irrégulière n'ont pas vocation à recourir au système de santé, "mais ces données montrent les potentielles hausses du nombre de bénéficiaires".
"Que font les politiques ?"
Une augmentation que revendique Michèle Delaunay, au nom de l'objectif à la fois "sanitaire et humanitaire" de l'AME, qui consiste à ne pas laisser s'aggraver les maladies, pour que leur coût de prise en charge ne "devienne pas excessif".En attendant, le Dr Legeais ne décolère pas : "Je comprends parfaitement ces étrangers qui viennent bénéficier gratuitement des performances de notre système de santé.
Ils auraient tort de s'en priver.
Mais que font les politiques ?
Il est temps d'envoyer l'addition aux principaux pays concernés."
Maroc, Sénégal, pays de l'Est, Turquie, Canada...
"Ces pays ont des passeurs, poursuit Legeais, parfois des associations loi de 1901, qui aident les malades à choisir le meilleur hôpital pour l'opération prévue et à organiser le voyage."
Si le FN demande "la suppression pure et simple de l'AME", les autres partis politiques se montrent plus nuancés et préfèrent interroger les contrôles de la Sécurité sociale.
"Si l'État continue de payer, pourquoi respecterait-on les réglementations ?" s'indigne Goasguen.
"S'il revenait à la Sécurité sociale de gérer l'AME, les contrôles seraient effectués, croyez-moi !"
Pour Caroline Izambert, chercheuse à l'EHESS et spécialiste de la santé des étrangers en France, les choses sont un peu plus compliquées que cela.
"Dans l'hôpital où j'étais chercheuse, en banlieue parisienne, confie-t-elle, il y avait à peu près quinze assistantes sociales qui veillaient à ce que les dossiers soient complets et qui contrôlaient les bénéficiaires.
Les vérifications sont donc bien effectuées.
" Pour la sociologue, on fait délibérément de l'AME une usine à gaz à des fins idéologiques : "Les politiques veulent s'approprier le dossier.
Que voulez-vous, un sujet de santé qui parle d'immigration, ça fonctionne toujours."
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