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dimanche 2 juin 2024

[TEMOIGNAGE] Exclusif : une femme dans l’enfer calédonien


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Béatrice R. est arrivée en Nouvelle-Calédonie voilà deux ans pour y exercer une profession médicale. Les émeutes ont transformé ce séjour professionnel en enfer. Le 16 mai, dans une interview exclusive à BV, Béatrice R. racontait ce qu’elle voyait, entendait et vivait. « Cette nuit, il est 2 heures du matin, mais nous avons peur. Cela fait 48 heures que nous ne dormons pas, mon compagnon et mes deux filles », disait-elle.

Depuis, les forces de l’ordre venues de métropole démantèlent lentement les barrages, les négociations tentent de reprendre dans un désordre indescriptible (les parties prenantes sont nombreuses, divisées et pour la plupart sans autorité sur les émeutiers). « L’apport de renfort de troupes était indispensable pour tenter de ramener le calme, de rétablir l’ordre et de rassurer la population, admet-elle. Sans ces renforts, la situation aurait tourné à la guerre civile, ce qui a été évité. »

Mais Caroline R. fait le constat d’une situation toujours très difficile, au quotidien. Et explosive. Car, selon elle, « les jeunes émeutiers ont échappé à tout contrôle, y compris celui de leurs leaders ». Ce qui rend les négociations illusoires... Si la France parvient à imposer un accord - ce qui semble loin d’être acquis -, quelle valeur aura-t-il et quelles seront ses chances d’être appliqué ?

La visite de Macron n'a rien changé

Pas de « guerre civile », donc, mais une situation loin d’être redevenue normale. « L'État n’est présent que par les seules forces de l’ordre qui font un travail remarquable », reconnait Béatrice R., qui leur rend hommage. La sortie de crise est évidemment politique, mais le constat s’impose. Le passage d’Emmanuel Macron, venu en urgence donner sa bénédiction, n’a… rien changé. « Cette visite a beaucoup inquiété, dans les premiers temps : la population a eu peur que cela attise la violence des émeutiers », constate Béatrice R. Cela ne fut finalement pas le cas, mais le passage éclair de l’hôte de l’Élysée « n’a rien changé à notre quotidien : pénurie de produits de première nécessité et bientôt de carburant », détaillait Béatrice R., ce 25 mai. La vie quotidienne est toujours très difficile, et on ne constate même pas de vrai changement sur la sécurité dans l’île. « Les insurgés continuent d’agir exactement comme avant le passage de monsieur Macron : barrages filtrants et bloquants, feux, pillages… Ils brûlent maintenant des maisons, assure Béatrice R. Une famille de Kamere avec deux enfants (dont une de 2 ans) s’est réfugiée chez nos voisins. Des maisons ont été incendiées hier. Leurs habitants se sont échappés après que leur compteur électrique a été brûlé… »

L'État semble très affaibli. Mercredi 29 mai, Béatrice R précise : « Le leader de la CCAT relâché par Emmanuel Macron pour libérer les barrages fait exactement l’inverse et appelle sa base à poursuivre le mouvement. Nous sommes pris en otage et le gouvernement ne fait rien. C'est une honte pour la France et pour la démocratie. »

Échapper à cet enfer

Et le 1er juin, la situation semble se dégrader. « Nous sommes très en colère ce soir, écrit notre correspondante. Le dégel du corps électoral n’est que le prétexte pour remettre en cause les accords de Nouméa et il est clairement affiché par la CCAT, mouvement né fin 2023, que le but recherché est l’indépendance. Ce mouvement agit en totale liberté en séquestrant la population calédonienne. » Notre correspondante évoque « des méthodes terroristes ».

Les transports dans l’île restent ultra-dangereux. « Les personnes qui circulent dans le grand Nouméa se font fouiller par des Kanaks et sont volées, assure Béatrice R. Certains, sous la menace d’armes blanches, doivent descendre et se font voler leur voiture. »

Or, la perspective d’échapper à cet enfer est toujours bouchée. « La réouverture de l’aéroport est sans cesse repoussée », nous écrivait Béatrice R., le 25 mai. Fermé depuis le 14 mai, l’aéroport de Nouméa doit rouvrir ce lundi 3 juin… si les autorités tiennent parole, car cette réouverture n’a cessé, jusqu’ici, d’être repoussée.

Une situation impossible, conséquence de la légèreté d’un gouvernement qui, rappelons-le, n’avait rien vu du potentiel explosif de sa réforme électorale. Et qui, partant, n’avait rien prévu. Des semaines d’émeutes plus tard, marquées par un milliard d’euros de dégâts, la tentative d’apaisement est donc loin d’être aboutie.

Entraide

La situation est d’autant plus angoissante que les Calédoniens voient les partis indépendantistes dominer la communication et les négociations. « Les seules informations qui nous parviennent proviennent du FLNKS et de la CCAT (partis indépendantistes représentants des Kanaks). Les non-Mélanésiens sont dans l’incompréhension de voir que la CCAT est écoutée par le Président alors que, dans le même temps, cette cellule officiellement assignée à résidence pilote et organise toutes les exactions sur le territoire », constate Béatrice R.

En Nouvelle-Calédonie, l’égalité est-elle autre chose qu’un mot ? « Les revendications mélanésiennes ont été entendues mais on a le sentiment que les autres peuples présents sur le territoire sont livrés à eux-mêmes », note avec dépit Béatrice R. « Politiquement parlant, nous avons une impression de néant, dit-elle. La situation est désespérante. La symbolique du déplacement du Président avait fait naître de l’espoir, mais force est de constater que cela n’a, dans l’immédiat, débouché sur rien. »

Dans ce tableau sombre d’un territoire français en péril, en dépit de sa situation géographique et stratégique si précieuse pour la France, dans ce qui ressemble à une faillite de l’État macronien (une de plus), un point rassure notre Française : cette entraide entre les habitants décidés à ne pas se laisser piétiner. « Heureusement qu’il y a une solidarité qui s’est instaurée, sinon nous aurions le sentiment d’un abandon total de l’État français. » Quand l'État défaille, les particuliers prennent le relais, contraints et forcés. Aujourd'hui en Calédonie, demain en France ?

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