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mardi 30 janvier 2024

[EDITO] Église, policiers… cette France qui soutient les paysans


Gabrielle Cluzel 29 janvier 2024

 

L’image, diffusée par le compte X de La Dépêche 47, a fait florès sur les réseaux sociaux : sur le bord d’une départementale, à Bergerac, un prêtre, soutane au vent et goupillon à la main, bénit à la volée le convoi des tracteurs pavoisés du drapeau bleu blanc rouge, qui part à Paris. 

 Depuis le marché aux bestiaux d’Agen, les agriculteurs klaxonnent à tue-tête. Ils ne partent pas au front, mais c’est tout comme. Il est à noter que nombre d’évêques, dans toute la France, ont exprimé publiquement leur soutien aux agriculteurs. Entre la bêche et le goupillon, il y a une longue histoire consubstantielle. Que deviendrait l’Église s’il n’y avait plus de pain ni de vin pour célébrer la messe ?

 

 

Paysan et païen ont la même étymologie, paganus, mais durant des siècles, l'Église a tant semé et labouré dans la ruralité qu’aujourd’hui, il n’est guère de paysan qui ne travaille dans un champ cerné par les clochers et les calvaires, au son, encore bien souvent, de laAngelus. C’est tout leur environnement qui porte les marques de la chrétienté. Même si le paganus, depuis plusieurs dizaines d’années, refait furieusement surface, l'humus de jadis n'a pas tout à fait disparu.


 

L'humus de jadis n'a pas disparu

C’est feu Patrick Buisson qui doit, là où il est, se réjouir de cette scène : dans son avant-dernier livre, La Fin d’un monde (Albin Michel), il déplorait la disparition de ce catholicisme populaire et rural, entre rogations et bénédiction des moissons. On a pu parfois, par le passé, dans ces colonnes, reprocher aux prélats français un tropisme écolo déconnecté et un appel à la charité pour le lointain dévoyé : ils font montre aujourd’hui d’une réelle compassion pour les souffrances de leurs ouailles, cela mérite d’être souligné.

 

 

Les forces de l'ordre aussi

Mais ce n’est pas tout. Une petite phrase du policier Rudy Manna, porte-parole d'Alliance Sud, sur le plateau de CNews, ce lundi 29 janvier, a fait aussi beaucoup parler : « Les flics de France soutiennent le mouvement des agriculteurs. »

 

— CNEWS (@CNEWS) January 29, 2024 

 

L’idée était sans doute de rassurer : le déploiement impressionnant de 15.000 gendarmes et policiers près des grandes métropoles, et en particulier des blindés de la gendarmerie autour de Rungis - ce lundi, ce sont les forces de l’ordre qui encerclaient Rungis, pas les agriculteurs -, n’était pas du meilleur effet de la part d’un gouvernement prétendant « comprendre » les manifestants. Il faut dire que les tracteurs ne sont pas des trottinettes électriques. Comme disait Michel Audiard, « quand les types de 130 kilos disent certaines choses, les types de 60 kilos les écoutent ». Pour disperser des agriculteurs juchés sur des mastodontes, il faut d'autres méthodes que pour un antifa épais comme un haricot vert.

Mais si l’on en croit Rudy Manna, il ne faut pas se fier à ces images belliqueuses : le bleu est solidaire du vert. Blindé et John Deere, même combat ! Même si chacun fait son devoir. L’inverse, en somme, de ce que prophétisait feu (lui aussi) Gérard Collomb pour les banlieues : non pas face à face mais côte à côte. Déjà, au début des gilets jaunes (pas à la fin, après le noyautage par les Black Blocs), les médias avaient relevé des images de fraternisation pour des forces de l'ordre et des manifestants aux sociologies proches : l’image d'un CRS s'arrêtant dans sa course pour embrasser une jeune manifestante de ses connaissances avait fait beaucoup parler.

Mais cette fois, les proximités sont peut-être encore plus prégnantes : les maux des agriculteurs - une paperasse administrative tentaculaire, une Europe dictatoriale, un monde sans frontière - minent et sapent le travail des policiers et des gendarmes. Eux aussi ont le sentiment décourageant de pousser chaque jour le rocher de Sisyphe, Dans leurs rangs également, on déplore de nombreux suicides. Dans sa chanson Le Sabre et le Goupillon, Jean Ferrat parlait du clairon uni à l’harmonium. Vient de se rajouter l’accordéon. En soutien aux agriculteurs, se dessine en somme l’arc d’une France éternelle, celle que l'on ne croyait plus voir unie que dans les livres d'histoire : les paysans, les prêtres et les soldats. La France qui ne peut pas marcher sur la tête, puisqu'elle est enracinée.

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