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vendredi 31 juillet 2020



Le quartier des Capucins à Bordeaux, où de nombreuses agressions imputées aux MNA ont eu lieu. Photo © Capture d'écran Twitter @BdxCapucins 

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Valeurs actuelles. Les violences commises ces dernières semaines, notamment à Bordeaux, sont souvent le fait de jeunes clandestins, pudiquement appelés « MNA » (mineurs non accompagnés). 
Est-ce un problème aussi chez nos voisins européens ?

Pierre Vermeren.
C’est un problème dans toute l’Europe occidentale, depuis la crise migratoire de 2015.
Après leur accord avec l’Allemagne pour mettre fin au flot migratoire de 2015-2016, qui a vu deux millions d’immigrants entrer en Europe, les Turcs ont repris le contrôle de leurs frontières en échange de milliards de dollars.
Cela a incité les Etats du Maghreb à faire de même.
Des canots ou des barques partent du Maroc pour rallier l’Espagne, mais aussi d’Algérie et, dans une moindre mesure, de Tunisie, mais surtout de Libye.
La majorité de ces migrants mineurs viennent d’Afrique de l’Ouest, mais le nombre de Marocains et d’Algériens s’accroît depuis 2017.
La crise sociale pousse les Etats du Maghreb à fermer les yeux.

Ces mineurs isolés viennent pour la plupart du Maghreb, du Maroc en particulier ?

Le Maroc est connu, depuis des années, pour avoir des dizaines de milliers d’enfants des rues, abandonnés, qui vivent en marge de la société.
Les filles sont souvent prises en institutions ou adoptées par des familles.
Mais les garçons se retrouvent seuls et tombent dans des bandes.
Cette population n’est prise en charge ni par l’Etat, ni par des associations.
Comme en Europe au XIXe siècle, au Maghreb, l’avortement est interdit, ce qui entraîne des abandons.

A partir du moment où des mineurs mettent pied en Europe, les instances et lois obligent à les garder : ils deviennent des MNA en jargon administratif.
Les enfants des rues, c’est le problème, très ancien, dans toutes les grandes villes africaines : d’Alger, de Casablanca, de Tanger, de Dakar...
Cela existait déjà à l’époque du protectorat français.
Dans « Le pain nu », roman de Mohammed Choukri, publié en 1973, l’auteur raconte son enfance, comment ces gamins vivaient de rapine, de trafic et de consommation de drogues, de services sexuels...
La nouveauté depuis 2016-2017, c’est que plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont arrivés en Europe.
Les raisons sont diverses : la crise sociale au Maghreb, le soulèvement du Rif au Maroc (consécutif à la mort d’un pêcheur, en octobre 2016, ndlr), la succession de Bouteflika et la crise politique en Algérie, l’exemple donné par les migrations turques et libyennes, les lois européennes interdisant d’expulser des mineurs…
A partir du moment où des mineurs mettent pied en Europe, les instances et lois obligent à les garder : ils deviennent des MNA en jargon administratif.
Comme ils brûlent leurs papiers d’identité, on ne sait pas quel âge ils ont.
Certains « mineurs » auraient pratiquement trente ans…

Dans votre livre « Le Maroc en 100 questions » (éditions Tallandier), vous expliquez comment le Maroc a passé un « deal » avec l’Union européenne, il y a deux ans, afin de réguler le flux migratoire entre les deux continents.

Effectivement, l’UE a fini par se rendre compte qu’elle avait des milliers de jeunes Marocains chez elle, et qu’il faudrait donc que le Maroc, qui a suivi le modèle de la Turquie, reprenne sa frontière en mains.
L’Allemagne a calmé le jeu en donnant beaucoup d’argent aux Turcs, les Italiens aussi, en signant un chèque aux autorités de Tripoli.
Quant aux Marocains, ils ont donc reçu environ 200 millions d’euros pour contrôler leur frontière. Désormais, ils contrôlent davantage les subsahariens, mais on constate que les flux de mineurs Marocains voire Algériens se poursuivent, crises sociales obligent.
Nous pourrions n’être qu’au début de cette histoire, compte tenu de la situation sociale, avec la Covid-19, qui est catastrophique au Maghreb.
L’effondrement des sources de financement y est très problématique.
On va en entendre parler dans les années qui viennent.

Où s’installent-ils, le plus souvent, en France et en Europe ?

En France, ils arrivaient d’abord à Paris : c’est un problème très ancien dans le quartier de Barbès depuis 4 ou 5 ans.
Les autorités policières en auraient ensuite dirigé beaucoup vers la Bretagne, sur Rennes, Nantes... Mais ce sont des gens très mobiles, qui voyagent sans papiers, tous seuls, dans les trains, les camions…
Il y a eu des « spot » dans les villes du nord, jusqu’en Suède ou aux Pays-Bas, qui ont instauré des contrôles plus stricts, entraînant des contentieux avec le Maroc.
En Espagne, où les MNA sont renvoyés avant installation, et en Italie, l’immigration est plus contrôlée.
La France apparaît donc comme un endroit assez favorable, notamment avec ses aides sociales et sa relative tolérance.
Par individu, se déclenche systématiquement une aide d’environ 50 000 euros.
Que représentent les aides sociales, destinées à ces mineurs isolés ?

A leur arrivée en France, les départements sont tenus, légalement, d’accueillir et de prendre en charge ces mineurs, qui seraient 41 000 en France.
Par individu, se déclenche systématiquement une aide d’environ 50 000 euros : ils sont logés – même si souvent, ils ne restent pas – nourris, soignés – alors qu’ils présentent parfois de gros problèmes de santé – et perçoivent un petit revenu.
Tout cela est très normé quand l’aide est déclenchée par les services sociaux.

A Bordeaux, les MNA sont responsables de cambriolages et d’agressions, notamment au couteau, ces dernières semaines, de plus en plus nombreux. 
La ville était pourtant réputée calme, il y a peu encore…

A Bordeaux, c’est un phénomène très récent.
Il y aurait entre 2000 et 3000 MNA dans la métropole. 
De ville de transit, Bordeaux est passée à ville d’installation, depuis environ deux ans.
En parallèle, au cours des années 2010, la délinquance y a beaucoup augmenté, notamment depuis que l’image d’une ville riche, calme, prospère, où s’installent beaucoup de cadres, est véhiculée dans les médias.
Les délinquants entendent les informations, comme tout le monde, ils sont opportunistes.
Bordeaux apparaît alors comme une proie facile, tandis que d’autres villes, comme Toulouse ou Nantes, sont beaucoup plus saturées de ce point de vue.
Il y a donc la conjonction de deux phénomènes.

Comment interprétez-vous ce regain de violences observées, notamment des attaques à l’arme blanche, inédites dans la capitale girondine ?

Cela veut notamment dire qu’il y a des rivalités de terrain pour le marché de la drogue.
Les MNA, seuls ou pris en main par des groupes de dealers, basculent pour une partie d’entre eux dans ce commerce délictueux.
Or, depuis le Maghreb ou l’Afrique de l’Ouest, leur seule défense d’enfants des rues, souvent attaqués et violentés, c’est un couteau.
Mais la victime peut devenir bourreau.
Or les MNA étant plus nombreux, pour un marché de la drogue qui n’est pas extensible à l’infini, cela entraîne des tensions parfois meurtrières.
Durant le confinement, le trafic a beaucoup baissé, et il est reparti désormais de plus belle.
 Les réseaux doivent les pousser à vendre, et ils s’affrontent pour des conflits de territoires.
Mais il y a aussi des violences gratuites, commises envers les passants.
Outre leur accoutumance ancienne à la violence, cela traduit aussi le fait qu’ils agissent sous stupéfiants.
Ils s’ennuient, sont nombreux, en groupes, voient que les gens s’amusent, sont heureux, parmi lesquels des filles, auxquelles ils n’ont pas accès... et cela peut dégénérer.
Au Maghreb, la police est extrêmement violente. […] En France, ils ne sont pas enfermés d’office, ils ont des droits, on leur donne de l’argent
Ces mineurs délaissés ont-ils le même comportement, parfois délictueux, dans leur pays d’origine ?

Au Maghreb, la police est extrêmement violente avec ce genre de délinquants.
S’ils sont pris la main dans le sac, ils se retrouvent enfermés d’office dans des prisons ou des commissariats.
On peut les attacher des journées entières ou les brutaliser, la police n’a de comptes à rendre à personne et doit assurer l’ordre social avec les moyens du bord.
Vous commettez une agression à Casablanca, vous pouvez disparaître du circuit pendant longtemps… Lorsqu’ils arrivent en Europe, c’est un peu l’histoire du loup (quelles que soient par ailleurs ses souffrances) dans la bergerie.
Les forces de l’ordre ne sont pas violentes, ils ne sont pas enfermés d’office, ils ont des droits, on leur donne de l’argent.
Ils passent d’un endroit où ils risquent la mort en permanence, à un endroit où ils ne risquent presque rien.
Le passage d’un monde à l’autre doit leur sembler inouï.
C’est le choc des mondes.
 On comprend, dès lors, que des filières se mettent en place.

N’exprimons-nous pas, en France, une forme d’angélisme dans la prise en charge de ces jeunes ?

Ce sont, pour la plupart, des jeunes déscolarisés, ou qui n’ont jamais été scolarisés, qui n’ont pas de famille, qui ne parlent pas le français et qui ont connu une extrême violence.
Au Maroc, les enfants des rues sont connus pour sniffer de la colle.
Ils y sont redoutés car totalement hors de contrôle.
Ils sont habitués à la violence de la police, de leurs amis, des réseaux qui les prennent en charge.
En France, ce qui est pervers, c’est qu’on les reçoit comme des agneaux, d’une manière très naïve.
Ce sont des victimes, bien sûr, avant d’être des délinquants.
Mais les gens qui les accueillent, dans les services sociaux, les associations, qui sont des gens bien, très généreux, ont une conception un peu rousseauiste des choses, ils les considèrent comme de « bons sauvages ».
Il est très choquant que des gens de trente ans puissent bénéficier de ce système.
Pourtant, subsiste la vieille idée coloniale selon laquelle les Africains sont de « grands enfants », qu’en étant gentils avec eux, tout se passera bien.
C’est humiliant pour les enfants ! Il s’agit pour moi d’une forme très sophistiquée de racisme inversé, de mépris, sous forme de générosité, qui renvoie à nos pathologies « post-coloniales ».
Certains antiracistes sont en l’occurrence racistes, davantage par bêtise ou ignorance que par clairvoyance et générosité.
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
A Bordeaux, en février dernier, une famille franco-algérienne a été arrêtée pour avoir pris sous son aile plusieurs dizaines de jeunes, pour les enrôler dans le trafic de la drogue.
Ces jeunes clandestins échappent aussi, régulièrement, à la vigilance des autorités, et finissent par tomber dans le giron de caïds…

Les MNA circulent à travers l’Europe avec des portables.
Quand vous êtes plus ou moins analphabète, vous ne vous retrouvez pas à Malmö ou à Stockholm par hasard.
C’est à ça que l’on devine des prises en charge…
A leur arrivée en France, notamment, ils sont endoctrinés par des réseaux délinquants.
A Bordeaux, en février dernier, une famille franco-algérienne a été arrêtée pour avoir pris sous son aile plusieurs dizaines de jeunes, pour les enrôler dans le trafic de la drogue.
Depuis la Covid, on s’est également servi de ces jeunes pour faire de la livraison de drogue à domicile, par le biais des livreurs de repas à vélos (Uber, Deliveroo, etc.).
C’est de l’exploitation de la misère humaine dans toute sa splendeur.

Une fois identifiés, ces jeunes gens, qui se sont adonnés à la délinquance, n’ont-ils pas vocation à être expulsés du territoire ?

Tant qu’ils sont protégés par les lois, en tant que mineurs, ils sont inexpulsables.
Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était président, avait échoué à faire une loi sur les tests osseux, afin de déterminer l’âge de ces jeunes gens, sur lequel ils mentent souvent.
Mais personne n’en a voulu.
 Sinon, c’est de la politique pure.
La France doit renégocier ces accords migratoires avec les pays du Maghreb et d’Afrique, avec du « donnant-donnant ».
Mais je doute que cela ait lieu en ce moment.
L’Espagne le fait, elle.
En Europe, c’est chacun pour soi.

Comment voyez-vous ce problème évoluer, dans les années à venir ?

Si on laisse les choses perdurer, cela va s’aggraver, car la crise économique au Maghreb et en Afrique de l’Ouest va prendre une telle ampleur, qu’il y aura de plus en plus de candidats au départ.
Soit l’on considère les MNA comme des gens normaux, qui ont eu une vie difficile, une expérience parfois criminelle et traumatisante, que l’on prend en compte ; soit on les considère comme des « bons sauvages », des bons enfants, et que tout ira bien.
Dans ce cas, les choses vont s’aggraver.
Il n’y a que les pouvoirs publics nationaux qui y peuvent quelque chose.
Les départements sont légalement obligés d’accueillir ces jeunes gens.
Il n’y a, pour l’heure, aucune raison que cela s’arrête.
Ces MNA sans famille, sans règles, n’ont souvent connu que la délinquance de rue. Pourquoi voulez-vous que ça s’arrête ?
Voyez-vous un lien entre l’afflux de ces jeunes clandestins et l’ensauvagement, dénoncé par le ministre de l’Intérieur, partout en France ces dernières semaines, dont ils se rendent parfois responsables ?

Ces MNA sans famille, sans règles, n’ont souvent connu que la délinquance de rue.
Pourquoi voulez-vous que ça s’arrête ?
Le regain de violences que vous décrivez a plusieurs explications : un « effet déconfinement », la reprise du trafic, l’absence de perspectives, les possibilités de travail qui s’amenuisent...
 La délinquance peut être amortie par une bonne situation économique.
Mais lorsque vous avez -11% de croissance en France, ce qu’on n’a jamais connu depuis la guerre, des secteurs entiers à l’abandon ou à l’arrêt…
Tout se reporte sur une économie criminelle saturée, où l’on sort les couteaux pour régler ses comptes.
Il y a aussi l’impunité.
Lorsque ces délinquants voient que le risque, pour eux, est pratiquement de zéro, pourquoi se gêneraient-ils ?
 Les peines sont rarement appliquées, en dessous de deux ans, car les prisons sont pleines.
Et il faut en faire beaucoup pour être condamné à deux ans de prison !

Toute cette situation est finalement révélatrice de l’anarchie de l’aide sociale, de l’anarchie de nos relations avec les pays méditerranéens, du trafic de drogue, de la diffusion de la délinquance dans notre pays sur fond de bons sentiments.

valeursactuelles 

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