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lundi 2 mars 2020

Chantage migratoire: «Erdogan ne comprend que les rapports de force»



Un char turc dans la région d’Idlib, 28 février 2020 HANDOUT/AFP
 
FIGAROVOX/ENTRETIEN - Hadrien Desuin revient sur les errements de la stratégie d’Erdogan en Syrie. Il appelle les pays occidentaux à tirer les leçons d’une décennie d’échecs au Levant, et à ne pas céder à la pression migratoire exercée par les Turcs.

Hadrien Desuin est responsable des questions diplomatiques à la Fondation du Pont-Neuf et essayiste. Il a notamment publié La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (les éditions du Cerf, 2017).

FIGAROVOX.-
 
La Turquie et la Russie semblent au bord d’une confrontation militaire au Moyen-Orient. Quelle lecture faites-vous de la situation?


Hadrien DESUIN.- Il est probable que les choses rentrent dans l’ordre après une poussée de fièvre qui n’est ni la première ni la dernière.

La Russie et la Turquie n’ont pas intérêt à se confronter directement, cela ferait les affaires de Washington.
En revanche, ils cherchent tous deux à contrôler le nord syrien.
La Turquie pousse ses forces pour des raisons essentiellement migratoires; il n’y a pas de Kurdes dans la poche d’Idlib mais Ankara craint un nouvel afflux de réfugiés syriens.
Et surtout elle n’a toujours pas digéré d’avoir perdu la guerre civile qu’elle a menée contre Bachar Al-Assad.
Les Turcs n’ont jamais caché leur soutien aux milices djihadistes (dont HTS, la branche syrienne d’Al Qaïda) qui terrorisent cette province depuis des années.
Les Russes, quant à eux, appuient l’offensive syrienne parce que ce pays est devenu leur meilleure base militaire dans la région et qu’ils veulent en faire un sanctuaire inviolable.
 
Je ne comprends pas bien l’intérêt de ménager la Turquie dans cette affaire.

Aujourd’hui, les Turcs payent leur folie des grandeurs néo-ottomanes.

Ils ont envoyé des milliers de djihadistes combattre en Libye les unités du maréchal Haftar autour de Tripoli.
Certains djihadistes français combattent à leurs côtés à Idlib.
Russes et Syriens ont profité de cette imprudence pour avancer leurs pions vers Idlib et en particulier les autoroutes M4 et M5 qui fluidifient les liaisons entre Lattaquié, Alep et Hama.
L’opération a viré au désastre pour Ankara, avec près d’une centaine de morts en un mois.
Ils ont été humiliés par l’armée russe et syrienne.
Les Turcs n’ayant pas moyen de riposter aux Russes, ils bombardent les Syriens.
En ne réagissant pas pendant 48 heures, les Russes ont offert aux Turcs la possibilité de se venger contre l’armée syrienne et d’apparaître la tête haute auprès de leur opinion publique.
 
L’OTAN et la France ont exprimé leur solidarité vis-à-vis de la Turquie, quelques mois après l’offensive turque contre les Kurdes en Syrie. Comment comprenez-vous leurs positions?
 
En échec en Syrie, Erdogan se tourne vers le bouc émissaire habituel: l’Europe.
Pour être tout à fait franc, je ne comprends pas bien l’intérêt de ménager la Turquie dans cette affaire. Erdogan est une brute qui ne comprend que les rapports de force.
Il y a quelques mois tout le monde était d’accord pour condamner ses folies.
La France, et l’Europe en général, disposent de toutes sortes de leviers qui peuvent aller de la rupture des relations diplomatiques aux sanctions économiques, la suspension de l’OTAN, la clôture des négociations d’adhésion à l’Union Européenne et la fin des nombreuses aides budgétaires qui vont avec.
 
Il est temps que l’Europe dise les choses clairement à une puissance turque qui n’a rien à faire dans l’OTAN et dans l’UE.

La Turquie mène au Moyen-Orient une stratégie d’apprenti sorcier depuis des années.
On ne peut pas la laisser occuper un pays souverain et voisin arabe comme la Syrie.
Le régime d’Erdogan n’a aucune leçon de démocratie à donner aux Syriens et aux Russes.
Il persécute les minorités depuis trop longtemps, et singulièrement la minorité kurde.
Son armée doit quitter le territoire syrien.
Il est temps que l’Europe dise les choses clairement à une puissance turque qui n’a rien à faire dans l’OTAN et dans l’UE.
 

La Turquie a annoncé qu’elle ne retiendrait plus les demandeurs d’asile tentant de rejoindre l’Europe.
Vous attendez-vous à un essor brutal des flux?
Quelle réaction faut-il attendre des Européens pour éviter l’aggravation de la crise migratoire?
 
Il s’agit du chantage habituel auquel il faut répondre par des mesures extrêmement fermes.
Je pense notamment au renvoi systématique des migrants à la frontière turque voire à la fin des aides financières qui leur sont accordées.
La France et l’Europe devraient se positionner en intermédiaires entre les Russes et les Turcs et entre les Turcs et les Syriens, ce que nous ne sommes jamais parvenus à faire depuis le début de la guerre civile.
 
La politique française au Moyen-Orient ne peut pas se résumer à un tête à tête avec des pétromonarchies du Golfe et les Turcs.

Nous avons raison d’être sensibles au sort des populations civiles qui fuient la terreur à Idlib et ont vocation à retourner dans une Syrie pacifiée et libérée des hordes djihadistes manipulées par les militaires turcs.
Les libérations de Mossoul et Rakka par la coalition américano-kurde ont aussi eu lieu dans la douleur.
Faut-il rappeler que la libération définitive d’Alep a été saluée par la foule en liesse?
Mener un combat d’arrière-garde contre la Syrie n’a pas d’issue.
Il faut tirer les leçons de cette guerre et renouveler complètement notre politique arabe.
Celle-ci ne peut pas se résumer à un tête à tête avec des pétromonarchies du Golfe et les Turcs.
Les Printemps arabes ont viré au désastre en grande partie de leur fait.
Il faut aujourd’hui tout remettre à plat et repartir de zéro.

lefigaro.fr/vox

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