Il y a des jours, comme ça, où on n'a pas trop envie de sortir du lit.
On sait que la journée qui nous attend sera, au mieux, insipide, au pire, vraiment pas drôle.
Généralement, les événements se chargent de confirmer la sombre prédiction qui suit la sonnerie du réveil. Alors, on enchaîne les bourdes, les rendez-vous manqués, les conversations qui tombent à plat, les tuiles, les « coups de pas de bol ». C'est comme ça, on n'y peut rien.
Ainsi d'Emmanuel Macron, qui était pourtant venu à Marseille, sa « ville de cœur », pour relancer sa campagne entre les deux tours de l'élection. Il avait prévu, disait-on, de se rendre sur les terres de Jean-Luc Mélenchon pour grappiller des voix à gauche de la gauche - chez les Insoumis et chez les écolos. Le parc du Pharo était réservé, on attendait 4.000 personnes sous un soleil qui s'y prêtait bien. Il n'y avait plus qu'à.
Malheureusement, on l'a dit, il y a des jours comme ça... Le parc du Pharo, bien que baigné par un soleil méditerranéen de bon aloi, était vide aux deux tiers, et même les journalistes favorables au pouvoir n'ont pu que le constater. Massés près de l'estrade, des Jeunes avec Macron, entourés de leurs aînés boomers (les vieux avec Macron), les uns comme les autres porteurs de tee-shirts et vociférateurs de slogans neuneus (« Et 1, et 2... et 5 ans de plus ! », mon préféré), ont eu du mal à faire croire à une ambiance survoltée.
Et puis, quand même, le candidat est arrivé, en bras de chemise parce qu'il est candidat, mais avec une cravate parce qu'il est Président. L'en même temps. Il avait des propositions audacieuses en stock. Des slogans novateurs, aussi : il voulait, par exemple, construire un « avenir en commun ». C'était exactement le nom du programme présidentiel de Jean-Luc Mélenchon. Un peu gros, peut-être... tout comme l'idée d'une « planification écologique », mise en œuvre par le Premier ministre : encore un emprunt aux Insoumis. On ne sait pas si cela servira à grand-chose de se livrer ainsi au plagiat, puisque les deux tiers des électeurs de Mélenchon viennent de se prononcer en faveur du « tout sauf Macron », lors d'une consultation interne.
Du côté écolo, il fallait trouver quelque chose, aussi. Malheureusement, comme rien ne semble terriblement séduisant dans la civilisation de tofu, d'éoliennes et de délits domestiques que proposent les amis de Yannick Jadot, mieux valait innover. C'est là qu'Emmanuel Macron est bon, après tout. Ni une, ni deux : il a proposé de créer une « fête de la nature », le quatrième samedi de mai. Une fête mobile, accordée au cycle des saisons, destinée à célébrer la nature - on a déjà vu ça quelque part, ça s'appelle le paganisme. Athènes, Rome, la Gaule, la Germanie ont eu leurs propres fêtes de la Nature. On les appelait, par exemple, dans la tradition germanique, Samhain, Imbolc, Yule, Ostara, Beltane, Litha...
Et puis, plus tard, l'Europe est devenue chrétienne. La tradition de l'Église a absorbé les mythes anciens et leur a donné leur plein sens. Samhain, la fête des morts (1er novembre), est devenue la Toussaint ; Yule, le solstice d'hiver où l'on festoyait autour d'un sapin en attendant des cadeaux, est devenue Noël ; Imbolc, la fête de la lumière (1er février), est devenue la Chandeleur (fête des Chandelles) ; Ostara, la fête printanière de la renaissance, est devenue Pâques (Easter en anglais, Oster en allemand) ; Litha, la fête de l'été, du feu et des longs jours, est devenue la Saint-Jean. Il ne manque, à peu de chose près, que Beltane, ou Beltaine, traditionnellement fêtée en mai et qui marque l'ouverture de la saison claire. Heureusement que Macron est là pour y remédier.
Pour comble de malheur, on apprend aujourd'hui que cette « fête de la nature » existe déjà. Sa 16e édition aura lieu cette année, du 18 au 22 mai pour être exact. ¡Caramba! Encore raté ! À force d'avoir plus de journées commémoratives que de jours dans l'année, il faut dire qu'on s'y mélange les pinceaux. Adieu, donc, couronnes de fruits, danses en toge sous la treille, coupes d'or pleines de vins capiteux, polyphonies du fond des âges, contes et légendes, défis et bagarres, étreintes et promesses... la fête de la nature n'aura pas lieu. Emmanuel Macron est peut-être le maître des horloges, mais il n'est pas le seul à avoir eu l'idée de charcuter le calendrier. Décidément, quand ça ne veut pas, ça ne veut pas.
Nous sommes en 2022 après Jésus-Christ. On en est à proposer une fête de la nature tandis que, face à Mercure, le dieu ludion, roi des menteurs et des carrefours, se prendrait presque pour Jupiter. Bastet, la déesse à tête de chat, protectrice des foyers, continue tranquillement ses déplacements. On attend l'avis des haruspices pour dimanche prochain. Dans d'obscurs antres de divination, on éventre peut-être déjà les poulets en marmonnant, dans une langue immémoriale, des malédictions chtoniennes. C'est décidément beau, le progrès.
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