Sylvie et Erick Pétard ont perdu leurs deux filles, Anna et Marion, dans les attentats du 13 novembre, fauchées par les balles tirées par les terroristes à une terrasse de café. Ils ont écrit un livre, Attentats du bataclan. L’Espérance qui nous fait vivre, dans lequel ils racontent l’épreuve qu’ils ont surmontée grâce à l’aide de leur foi : les heures de silence avant la nouvelle terrible, le mur de l’État, l’attitude déplorable des autorités, la vie « après »…
Un témoignage poignant.
Il n’y a pas de mots dans la langue française pour nommer les parents qui perdent un ou plusieurs enfants. Orphelins de leurs filles, c’est ainsi que l’on peut nommer Érick et Sylvie Pétard.
Nous sommes le 13 novembre 2015, il est environ 21 h 20, Anna et Marion boivent un verre au Carillon, dans le 11e arrondissement de Paris. Une voiture noire immatriculée en Belgique s’arrête et ouvre le feu. Les deux sœurs de 24 et 27 ans sont fauchées par les balles de AK-47 tirées par des terroristes. Quelques instants plus tard, leurs parents, bouchers dans le Loir-et-Cher en périphérie de Blois, allument la télévision et tombent sur les premières images de l’explosion au Stade de France. Évidemment, ils pensent à leurs filles, mais Paris est grand, ils le savent bien pour y avoir travaillé. Les noms des bars et des avenues apparaissent. Sylvie reconnaît le quartier où vivait sa fille. Après une nuit et une journée d’angoisse et de recherche, le portable sonne et la nouvelle tombe. Anna et Marion ne reviendront jamais. Tout s’effondre, la colère, la révolte et l’incompréhension, cette tristesse et cette souffrance insupportable, mais aussi, nichée quelque part en vous, cette espérance tombée du ciel. Cette histoire, Sylvie et Érick, vous l’avez racontée dans ce livre.
On dit que les Américains se souviennent de ce qu’ils faisaient le jour de l’assassinat de Kennedy et de ce qu’ils faisaient le jour du 11 septembre. Les Français se rappellent-ils ce qu’ils faisaient le 13 novembre ? On imagine que vous vous en souvenez très bien…
Erick Pétard :
Effectivement, nous nous rappelons le 13 novembre 2015. Pour nous, cette journée a été un effondrement total. On peut dire que c’était un peu la fin de notre vie. Nous avons surmonté cela avec l’aide de la foi. Cela reste tout de même une épreuve très difficile à vivre. Tous les jours, nous sommes avec nos filles en sachant qu’elles ne sont pas là.
Sylvie Pétard :
Beaucoup de gens se souviennent du 13 novembre. Je pense qu’il faut parfois des piqûres de rappel pour que les gens se mobilisent, réagissent et réfléchissent aux conséquences de tous ces drames.
Le 13 novembre, vous étiez, comme tous les jours depuis trente ans, dans votre boucherie-charcuterie. Vos filles étaient étudiantes à Paris ou, en tout cas, l’une travaillait et était de passage à Paris pour voir sa sœur. Vous deviez vous retrouver pour votre anniversaire. Que s’est-il passé, ce soir-là ? Comment ont-elles pu se retrouver sur la trajectoire des balles tirées par ces fous ?
Sylvie Pétard :
Personne ne pouvait le prédire. Pourquoi ont-elles choisi ce café-là pour boire un verre avec leur amie Aurélie ? Je ne sais pas. Il n’y a aucune explication et on ne l’aura jamais. Les faits sont là.
Érick Pétard :
Elles avaient l’habitude de se retrouver avec des amies dans ce quartier. Personne ne savait que les terroristes allaient passer par là.
Vous avez attendu pendant des heures avant que la nouvelle tombe enfin. Vous avez eu des réactions absolument incroyables et des manques d’emphatie absolument monstrueux. Vous dites que Mme Taubira et M. Cazeneuve n’ont pas osé regarder les parents des victimes.
Érick Pétard :
Manuels Valls est venu vers nous, mais les deux autres se cachaient dans leur coin et nous ont évités.
Ils devaient pressentir mon sentiment. Comme je n’ai pas été très sympa avec Emmanuel Valls, cela aurait été sûrement pire avec Cazeneuve.
Selon vous, il y a une vraie responsabilité de l’État, c’est d’ailleurs ce qui motive votre colère.
Érick Pétard :
C’est eux les responsables. Je ne comprends pas que l’on puisse se promener dans la rue avec des kalachnikov.
Sylvie Pétard :
M. Cazeneuve ou Mme Taubira ont eu cette attitude avec d’autres. Nous avons ressenti un désintérêt total.
C’est évidemment ce drame qui vous a poussés à écrire ce livre, à témoigner de ce que vous avez vécu, mais il y a comme un filet d’eau jaillissant dans le désert, une foi miraculeuse qui s’est accrochée à vous presque malgré vous puisque, dans ce deuil, il n’y avait pas de place pour Dieu, en tout cas vous n’y pensiez pas. Pourtant, c’est la foi qui vous a trouvés.
Sylvie Pétard :Je pensais à Lui, mais Il est venu à un moment où Lui avait envie de m’aider. Je l’ai évidemment cherché, mais je pense qu’Il attendait le moment propice où je serais prête à l’accueillir avec Dieu, Marie et les filles. Aujourd’hui, je vis avec et personne ne me l’enlèvera.
Érick Pétard :
Pour ma part, je n’ai pas eu le même problème puisqu’étant croyant depuis toujours, pour moi ,Dieu n’est pas en cause.
Vous dites que Dieu n’est pas en cause. En parcourant ces lignes, on voit que s’il n’y avait pas eu votre épouse et cette foi, vous auriez pu tomber dans une sorte de spirale de haine et de colère perpétuelle qui aurait fini par vous détruire.
Érick Pétard :
Cette haine est un peu tombée, mais je ne suis pas prêt à pardonner. Pour moi, ce n’est pas possible. J’espère en Dieu qu’Il fasse ce qu’il faut avec l’âme des assassins et avec celle de ceux qui les ont couverts. Cela n’est plus dans mon objectif.
Dès le lendemain des attentats du 13 novembre, nous avons vu fleurir des messages « Vous n’aurez pas ma haine » comme siv finalement, l’empathie prenait le pas sur la souffrance, la colère ou la révolte. Vous avez dû écouter ces prises de parole. Vous aussiv étiez-vous dans cette démarche-là ouv au contraire, cela a-t-il été plus progressif ?
Sylvie Pétard :
À ce moment-là, j’étais dans le néant. Je n’arrivais pas encore à comprendre et à réaliser ce qui nous était arrivé.
Érick Pétard :
Les gens qui ont dit « Vous n’aurez pas ma haine » faisaient partie de la même profession de foi des gens qui ont assassiné mes enfants. Pour moi, ce sont des paroles inutiles. Il aurait mieux valu se taire et accuser le coup.
Lorsqu’on traverse un deuil pareil, certaines paroles blessent. Vous avez notamment été choqués par des paroles de l’évêque Monseigneur Batut qui a tout de suite parlé de pardon avant même de laisser place à la colère et à la révolte. Tout cela aurait pu vous décourager et vous empêcher de franchir ce pas vers la religion. Avec du recul, comment revivez-vous cette période ?
Sylvie Pétard :
Personnellement, les filles sont parties. Je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez. Au moment des obsèques, je n’ai pas entendu l’homélie. Je n’avais pas les capacités de l’entendre. Je me suis arrêtée aux filles et c’est tout. J’étais complètement absente à ce qui se passait autour.
Érick Pétard :
Je suis comme ma femme. Le jour des obsèques, je n’ai pas retenu ce qu’avait dit Monseigneur Batut. Après, on me l’a dit et cela m’a interpellé sur le coup. C’est son rôle de prôner le pardon et je le comprends très bien. D’ailleurs, je n’ai aucune rancœur contre lui et je suis tout à fait un disciple de Monseigneur Batut. C’est difficile pour nous de faire ce qu’il nous demande. Chacun reste sur ses positions. C’est le Seigneur qui jugera et c’est notre point de vue de croyant.
Vous êtes mariés depuis plus de trente ans et vous vous aimez. Malgré le fait que vous ayez toujours travaillé ensemble, vous avez toutefois décidé d’arrêter de travailler très vite après la mort de vos deux filles. Vous avez décidé de partir à la retraite. En effet, vous disiez que vous ne voyiez plus beaucoup d’intérêt à travailler pour vous même puisqu’il n’y avait plus d’enfants à qui transmettre.
Comment envisagez-vous votre avenir ?
Sylvie Pétard :
Nous n’avons pas de plan d’avenir. Nous vivons au jour le jour. Si nous avons envie d’aller faire une retraite, nous prévoyons la retraite. Les filles nous disent d’aller là où on doit aller. On savoure les moments privilégiés, tels que les rencontres, nos moments à deux.
Vous disiez que vous parliez très peu de vos filles, comme si c’était un moyen de vous protéger tout en continuant à penser à elles.
Sylvie Pétard :
Nous avons les souvenirs de nos filles. Lorsqu’on en parle, cela nous
attriste puisqu’il n’y en aura pas d’autres. Si les filles étaient là,
nous parlerions de souvenirs, mais cela serait différent, puisque nous
pourrions en rire avec elles.
Pourquoi avoir choisi d’en parler maintenant ?
Sylvie Pétard :
Je suis un peu plus ouverte. Pendant longtemps, je n’ai pas parlé des filles et là, avec le livre, cela me permet de m’exprimer. C’est plus facile d’écrire que de parler.
Érick Pétard :
On m’a forcé la main pour que je participe à ce livre. Pour le respect de ma femme et mes enfants, j’ai dit oui. Maintenant que le livre est sorti, je trouve cela bien. Avec l’aide d’Artège, il est merveilleux de pouvoir en parler. Je vois la vie comme elle vient.
Nous vivons dans la prière et l’espoir. S’il se présente des occasions où nous vivons un peu de distraction et de bonheur, nous les prenons.
Le procès va s’ouvrir et vous n’y participerez pas. Vous n’avez pas attaqué l’État et vous n’avez pas déposé de plainte. Pourquoi ne pas avoir mené cette action en justice ?
Qu’attendez-vous de ce procès ?
Sylvie Pétard :
Nous avons décidé de ne pas participer parce que cela ne nous intéresse plus. Les filles sont parties. Nous n’aurons pas d’explications et de réponses. Nous serons bien obligés d’avoir des informations malgré nous, mais nous n’avons pas du tout envie de nous y intéresser.
Érick Pétard :
Nous ne nous intéressons pas du tout au procès pas plus qu’à la
publicité des terroristes qui sera faite. Un procès qui dure 8 à 9 mois
doit coûter cher et je trouve qu’il n’y a pas d’intérêt à donner de la
valeur à ces gens-là. La décision qui sera prise par ceux qui
représentent la loi n’a aucune importance pour moi. Je tiens à ne pas
parler de ces gens-là et à faire comme s’ils n’existaient pas.
Vous rappelez-vous les visages des terroristes qui ont tiré au Carillon ? Selon vous, ces personnes existent-elles en tant que personnes humaines ?
Sylvie Pétard :
Heureusement que l’on ne les connaît pas. Nous sommes restés avec nos filles et c’est ce qui est merveilleux. Ils ont fait le mal, mais maintenant, il faut vivre avec.
Dans votre village, une école et une statue portent leur nom.
Vous disiez que c’était important de vous sentir enracinés dans cette
France. Cet enracinement rend-il le souvenir de vos filles vivant ?
Sylvie Pétard :
La statue et l’école étaient une initiative des deux maires qui se sont suivis. Nous étions totalement d’accord, mais ce qui nous sauve surtout, c’est d’être tous les deux. L’amour sauve.
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